Le poète Nakahara est né en 1907 dans l'actuel département de Yamaguchi, dans une famille aisée mais peu ouverte à la poésie - son père était médecin militaire. N'ayant pas fait les études brillantes que ses parents espéraient, il est envoyé au collège à Kyôto. La liberté ainsi acquise et la rencontre de plusieurs poètes, lui permettent de découvrir la poésie française, Verlaine, Rimbaud -qu'il traduira-, Apollinaire et le dadaïsme. Il décède en 1937.
Le poème le plus connu des Japonais, d'après le traducteur, est le suivant:
"La tristesse est salie...
La tristesse est salie et tombe sur elle
Aujourd'hui comme hier une neige légère
La tristesse est salie et sur elle
Aujourd'hui comme hier passe le même vent
La tristesse est salie
Telle une peau de renard
La tristesse est salie et c'est elle
Qui se blottit sous la neige légère
Salie est la tristesse
Qui sans rien espérer ni sans rien demander
Salie est la tristesse
Qui dans son grand ennui ne rêve que de mort
Dans la tristesse salie
Lamentablement la peur nous saisit
Sur la tristesse salie
Dans l'impuissance retombe la nuit" fin 1929 ou début 1930 - Chansons d'une chèvre
"Aux libellules
Ciel d'automne trop clair
Volent les rouges libellules
Baignant dans le pâle couchant
Moi debout dans les champs
Au loin une cheminée d'usine
Voilée par le couchant paraît
Poussant un long soupir
Je me baisse et ramasse une pierre
Quand la froideur de ce morceau de pierre
Enfin dans ma main se réchauffe
Je le jette et l'herbe maintenant
J'arrache l'herbe baignée dans le couchant
L'herbe arrachée sur la terre
Faiblement va se fanant
Au loin la cheminée d'usine
Voilée dans le couchant paraît" 1936 - Chansons des jours d'antan
"Lamentation d'automne
Ah ah, l'automne est là
Des larmes d'émail piquent les yeux.
Ah ah, l'automne est là
Avant que dans les coeurs ne s'arrêtent les danses
Une fois encore, et v'lan et v'là, l'automne est là.
Sur les prés, les prairies, sur les champs, sur les villes
Sur les gens, pour déchaîner ses ravages, et v'lan et v'là, l'automne est là.
Avec ses habits de mousseline
Au bout de ses mains légères et froides des gemmes d'argent
Avec sa face de limande fripée des deux côtés
Quand il rit on dirait des balles de riz qu'on secoue et resecoue,
Courge d'Asie toute desséchée
V'là le vieux diable, et v'lan et v'là." 7 octobre 1925 (Nakahara Chûya Poèmes - tr. Y.M. Allioux)
"Automne
Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
Et son boeuf lentement dans le brouillard d'automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux
[...]
Oh! l'automne l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes grises" Apollinaire - Alcools
"Première soirée
_ Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près. Rimbaud - Poésies