"Un carnet de croquis et son devenir
François Hippolyte Lalaisse et la Bretagne" Denise Delouche
En 1952, est mis en vente, à Paris, "un album de dessins, croquis et aquarelles exécutés par Lalaisse en Bretagne". Il est acheté pour le Musée National des Arts et Traditions Populaires. De cet album, on ne connaissait que les tirages lithographiques publiés en 1844 par la société Charpentier de Nantes sous le nom de "La Galerie Armoricaine" et en 1854 "La Normandie illustrée".
A Nantes, la maison d'édition et imprimerie Charpentier est la plus importante. Créée en 1808, elle a obtenu en 1828 le brevet d'imprimeur lithographe - distribué avec parcimonie par les préfets sur ordre du Ministère de l'Intérieur - et en 1849 celui d'imprimeur typographe. Dans les années 1840, les Charpentier ont une production lithographique déjà importante qui s'intéresse aux villes et aux paysages et destinée à un public précis (par exemple les pélerins de Sainte Anne d'Auray). Mais en 1829, Charpentier père avait publié un recueil de costumes qui reste, aujourd'hui, un rare et précieux témoin des vêtements bretons.
En 1843, "les Charpentier ont préféré un nouvel ouvrage à une simple réédition, soit qu'ils aient trouvé trop lacunaire le premier recensement entrepris, soit qu'ils aient pris conscience de la rapide évolution des costumes dans les campagnes bretonnes."
Ils cherchaient aussi le succès commercial: "Bénéficiant en effet de la technique lithographique, la mode des recueils d'estampes se développe dans le public français; ils répondent au désir de connaître les richesses archéologiques et les aspects pittoresques des provinces françaises ou des contrées plus lointaines, méditerranéennes et orientales surtout. Rarement dans l'histoire, la mise au point d'une technique a si exactement servi les aspirations culturelles d'une société, y compris son aspiration à une relative démocratisation des connaissances."
Les voyageurs commencent à s'intéresser aux costumes. "Sans que ce soit toujours exprimé clairement, l'idée apparaît que ces costumes constituent en eux-mêmes un patrimoine vivant, changeant d'une région à l'autre, évoluant lentement, mais dont les racines sont données pour anciennes. [...]
C'est ce patrimoine humain que Henri Désiré Charpentier a tenté d'approcher une première fois en 1829 et que Lalaisse sera chargé d'inventorier pour en faire une Galerie."
"L'homme de terrain qui va réaliser le projet d'une nouvelle galerie de costumes est alors un inconnu; il a trente-trois ans quand les Charpentier s'adressent à lui, il n'a jamais exposé (son premier salon est de 1845), il n'est jamais allé en Bretagne."
François Hippolyte Lalaisse est, à Paris, l'élève de Charlet qui lui apprend les techniques du travail en plein air. Il le rejoint comme maître de dessin à l' Ecole Polytechnique où Charlet a été nommé professeur.
La France s'ennuit en ce milieu du XIXème siècle. Les jeunes artistes, poètes, écrivains, peintres ont le goût du voyage (les plus célèbres Sand et Musset en Italie!) pour oublier leur spleen.
"Les premiers (?) voyages de F.H. Lalaisse commandités en Bretagne puis en Normandie par les éditeurs nantais participent de ce goût général du voyage: les Charpentier ont très bien compris l'ampleur de ce courant et le champ commercial qui s'ouvrait pour des publications de qualité qui sauraient répondre à ce besoin de dépaysement."
Si la Normandie a été connue très tôt grâce aux peintres anglais, la Bretagne est encore à découvrir.
Quelle image en a-t-on dans les années 1840?
"Le pays séduit certes par ses côtes déchiquetées, ses églises étranges d'archaïsme, ses vieilles cités médiévales et ses mystérieuses pierres levées, mais ses habitants ne contribuent pas peu à la fascination..."
On confond facilement Breton et Vendéen à travers la chouannerie. " Parmi les images littéraires qui, à la même époque, vont contribuer à échafauder le mythe breton, celles qu'Honoré de Balzac propose dans les Chouans s'ajoutent aux souvenirs entretenus de l'histoire."
"Dans les notes qu'il détaille pour l'édition de 1845 [des Matyrs] Châteaubriand a dit au demeurant clairement son intention de peindre à travers cette lointaine province qui est la sienne les origines de la civilisation française elle- même: j'ai peint notre double origine, j'ai cherché nos costumes et nos moeurs dans leur berceau et j'ai montré la religion naissante chez les fils aînés de l'église."
A l'opposé de cette image de violence, le poète Brizeux - célébré dans les années 1830 - parle d'une Bretagne paisible "Brizeux personnifie la Bretagne dans la figure de Marie; dans ce suave poème on respire l'odeur des genêts et des ajoncs, la fraîcheur âcre et slubre de l'océan voisin et l'on entend à travers les sons du biniou comme une modulation de flute antique." (Théophile Gautier cité par D. Delouche)
Et qu'en ont montré les peintres? Surtout les ports et les côtes mais souvent à travers tempêtes et orages! " Les peintres d'histoire ont surtout puisé dans les guerres fratricides de la Révolution, les combats navals dont les côtes de la péninsule ont été le cadre, et la vie, les hauts faits d'armes ou la mort de Du Guesclin, toute une thématique qui accrédite les idées de violence, de courage, de résistance..."
D'autres peintres s'intéressent au peuple mais pour montrer le pittoresque et la rusticité des moeurs et des costumes. Certains Bretons s'en offensent:
"Les bourgeois de la Bretagne n'aiment pas le paysan qu'ils méprisent...c'est grâce à eux, c'est du moins sans réclamation de leur part qu'ont été répandus sur notre pauvre province tant d'opinions calomnieuses, tant de fabuleux dictons et qu'il a été généralement admis par toute la France que le paysan breton était une espèce de sauvage, sordide habitant d'une lande inculte et presque aussi stupide que les brutes qui étaient censées partager sa demeure et ses repas." (Alfred de Courcy cité par D. Delouche)
Si les Charpentier envoient des dessinateurs en Bretagne, c'est bien sûr parce qu'ils la savent attractive. Mais c'est aussi pour répondre aux idées reçues. Lalaisse leur donnera une étude objective et spontanée, un recueil sans a-priori.
un exemple de lithographie de Félix Benoist, peintre de la maison d'édition Charpentier, compagnon de route de Lalaisse en Bretagne
détail de la lithographie de Dinan: deux groupes de personnages, la bonne est en costume breton
détail de la lithographie: le port