L'absence, ni l'oubli, ni la course du jour,
N'ont effacé le nom, les grâces, ni l'amour,
Qu'au coeur je m'imprimai dès ma jeunesse tendre,
Fait nouveau serviteur des beautés de Cassandre:
Cassandre, qui me fut plus chère que mes yeux,
Que mon sang, que ma vie, et que seule en tous lieux
Pour sujet éternel ma Muse avait choisie,
Afin de te chanter par longue poésie.
Car le trait qui sortit de ton regard si beau,
Ne fut l'un de ces traits qui déchirent la peau:
Mais ce fut un de ceux, dont la pointe cruelle
Perce coeur et poumons, et veines et mouelle.
Ma Cassandre, aussitôt que je me vis blessé,
Jeune d'ans et gaillard: depuis je n'ai pensé
Qu'à toi mon coeur mon âme, à qui tu as ravie
Absente si longtemps la raison et la vie.
Et quand le bon Destin jamais n'eût fait revoir
Tes yeux si beaux aux miens: le temps n'avait pouvoir
D'enlever une esquierre, ou d'amoindrir l'image
Qu'Amour m'avait portraite au vif de ton visage:
Si bien qu'en souvenir je t'aimais tout ainsi
Que dès le premier jour que tu fus mon souci.
Et si l'âge qui rompt et murs et forteresses,
En coulant a perdu un peu de nos jeunesses,
Cassandre c'est tout un! Car je n'ai pas égard
A ce qui est présent, mais au premier regard:
Au trait qui me navra de ta grâce enfantine,
Qu'encore tout sanglant je sens en la poitrine.
Bienheureux soit le jour que tes yeux je revis,
Qui m'ont et près et loin, de moi-même ravi.
[...] Toujours me souvenait de cette heure première,
Où jeune je perdis mes yeux en ta lumière,
Et des propos qu'un soir nous eûmes, devisant,
Dont le seul souvenir, non autre m'est plaisant.
Ce fut en la saison du printemps qui est ore,
En la même saison je t'ai revue encore:
Fasse amour que l'avril où je fus amoureux,
Me fasse aussi content que l'autre malheureux!
Ronsard (1569)
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