" La Bénédiction inattendue" Yoko Ogawa
Une petite fille reçoit -cadeau de son père, rentrant de Suisse- un magnifique stylo à plume qui lui donne envie d'écrire. Elle commence à recopier les livres qu'elle aime, puis elle écrit ses propres mots.
"C'était une tâche beaucoup plus amusante que je ne l'aurais cru. Même s'il s'agissait de mots auxquels je n'avais pas réfléchi, dès lors que, se faufilant jusqu'au bout de mes doigts, ils apparaissaient devant mes yeux, ils devenaient attachants."
Seule la domestique, Melle Kiriko, s'intéresse à son travail et lui montre des marques de déférence. Lorsque le beau stylo sera mis au feu, avec les épluchures, par une mère distraite et indifférente, Melle Kiriko fera en sorte d'apporter un stylo semblable au premier.
Adulte, cette petite fille (?) est devenue une romancière un peu égarée. Son amant l'abandonne, elle élève seule son fils. Il y a toujours sur son chemin des êtres étranges - parfois inquiètants comme ce lecteur obsessionnel qui transporte ses livres dans différentes poches de son manteau et se prend pour le frère mort de la jeune femme -parfois bienveillants comme l'était Melle Kiriko qui faisait des miracles, ou le vétérinaire qui sauve son chien malade, ou le vieil homme qui a une marque en forme de papillon comme l'aura son amant.
"Je ne sais pas pourquoi, lorsque j'écris un roman, j'ai l'impression de me trouver dans un atelier d'horlogerie."
Et lorsque l'amour s'en va "Je retourne en courant vers l'atelier d'horlogerie. Je n'ai pas d'autre endroit où aller.
Alors que mon ventre est si enflé, je peux traverser la forêt en courant sans regarder de côté. Je ne ralentis pas, malgré les branches pointues qui me griffent les joues, malgré les vrilles qui se prennent dans mes pieds. Je me contente de me hâter vers l'endroit qui m'a été donné pour moi seule."
Parfois les mots se refusent "Je tâtonnais ici ou là à la recherche des mots. Dans le tas de notes, le lit de bébé, dans le noir, les vieux disques, les organes, les buissons, les réserves de nourriture, derrière les gencives, sous la couverture d'Apollo...D'habitude, même si cela pouvait parfois me donner beaucoup de peine, il me restait le poids des mots au creux de la main. Mais maintenant, ils ne produisaient plus que des bruits secs et ma paume était vide."
Et dressent un mur "Les mots que j'ai inscrits l'un après l'autre à l'intérieur des carreaux sur le papier se sont empilés de cette façon. Et je me rends compte enfin que je me suis égarée par mégarde de l'autre côté du mur."
David Fontaine, critique au "Canard enchaîné" a écrit un titre que j'aime: "Sept portes [les sept nouvelles] sur le pays des mots
Dans ce recueil subtil et rare, Yoko Ogawa emmène par la main son lecteur pour une promenade troublante dans les coulisses de l'écriture, au fin fond de la forêt du roman."