"Ô vent, Ô vent qui parcours le ciel" Yûko Tsushima
Un livre douloureux sur les relations mère-fille. Le cordon jamais rompu, le cycle amour-détestation, instinct de possession -rejet, besoin d'indépendance-besoin de protection. Sur les filles qui deviennent mères à leur tour et se posent des questions. Et au bout de la lutte, la mort dont on ne peut se consoler.
Yûko Tsushima nous parle de quatre générations de femmes au travers du récit de Ritsuko. Le roman commence ainsi:
"La mort de maman.
Maman morte.
... maman est morte sans que je le sache."
Ritsuko a quarante ans et sa mère quatre-vingts.
"Je serai bientôt morte.
Je ne sais pas si je serai en vie au printemps prochain.
De toute façon, je mourrai bientôt.
Depuis mon enfance, c'est-à-dire plus de trente ans, maman n'a cessé d'adresser ces phrases à sa fille, c'est-à-dire à moi."
La petite fille a essayé d'apprivoiser l'idée de la mort de sa mère. Aujourd'hui elle est devenue une vieille femme qui somnole dans un lit d'hôpital et se laisse couler dans ses rêves, mélangeant sa propre enfance et sa vie d'adulte. Ritsuko s'interroge: pourquoi sa mère lui répétait-elle sans cesse cela, alors qu'elles vivaient sans échanger beaucoup de paroles? L'a-t-elle aimée? Et elle, aimait-elle sa mère? Qu'est-ce qu'une mère? Quels sont ses sentiments envers sa propre fille?
Ritsuko se penche sur le passé.
Ses parents n'étaient pas mariés et après la mort de son père, dont elle n'a aucun souvenir, sa mère s'est occupée de ses deux enfants. Son frère a eu un accident lors d'un voyage scolaire et elles sont restées seules. Après de brèves études dans une université de second ordre, ce qui a déçu sa mère, elle a décidé de quitter la maison.
"Quitter la maison, ce n'était pas en soi difficile pour moi. Ce qui m'avait paru impossible, c'était de le dire à ma mère et de guetter sa réaction.[...] Après avoir pris cette décision, j'ai murmuré en moi-même: "Enfin, maintenant, maman perdra tout espoir et mourra." Pour abandonner sa mère, il faut savoir si l'on est prêt à assumer les conséquences de son acte.
Je m'étais toujours fait des idées à son propos, des idées infantiles, toujours dans mon coin. Je ne m'étais jamais interrogée sur sa réaction si je lui avais dit: "En réalité, tu n'as pas la moindre intention de mourir, tu n'as en tête que la vie." J'étais autant épouvantée par cette figure de mère malheureuse, qui n'envisageait pour seul espoir que sa mort, que par moi-même, qui ne pouvais plus continuer à vivre chez elle rien que pour elle. On peut dire que je luttais contre des chimères. Néanmoins j'en tirais une réelle souffrance."
Contrairement à ce qu'elle craignait sa mère accepta la séparation. Ritsuko déménagea donc pour la première fois. Ce sera le début d'une série d'aller-retour entre ses propres appartements et la maison familiale. Au début avec son mari et après son divorce avec sa fille.
En première année de collège, Ritsuko rencontra Fumiko. Fumiko venait, contrairement à Ritsuko, d'une famille nombreuse. Elle y trouvait la chaleur qu'elle ne connaissait pas avec sa mère.
Mais cette famille avait ses propres secrets. La grand-mère possédait une auberge où vivaient toutes les générations: Fumiko, sa mère, ses grands-parents et sa grand-tante. La grand-mère s'y connaissait en chantage affectif, chaque fois que sa fille parlait d'indépendance, la grand-mère gémissait. Elle avait beaucoup pleuré et sa fille beaucoup culpabilisé. Elle avait même obtenu le départ de son gendre et c'est ainsi que Fumiko ignorait tout de son père. Après la vente de l'auberge, la mère de Fumiko a réussi à vivre avec sa fille et son ami. Mais la grand-mère les a vite rappelés auprès d'elle et ils ont obéi. Peu de temps après elle est décédée d' un cancer à l'âge de quarante-quatre ans.
La grande-tante de Fumiko avait eu une fille illégitime Kiyoko adoptée par les grands-parents. Après quelques années d'études dans une université renommée, elle a fui aux Etats-Unis avec son amant et a eu une fille Mina. Kiyoko s'est ensuite mariée avec un français et est partie vivre à Paris, elle a eu une seconde fille Emma. Lorsque la mère de Fumiko est décédée, Kiyoko et Mina sont revenues à Tokyo. Elle a laissé Mina, alors âgée de dix ans, à Fumiko qui était déjà mariée. Mina a pu vivre quelque temps auprès de sa vraie grand-mère, puis celle-ci est morte. Kiyoko est aussi décédée à Paris, Mina et Fumiko ont accompagné ses derniers jours avec Emma, âgée de seize ans. Peut-être Emma pourra-t-elle rejoindre sa famille japonaise comme l'espère sa soeur.
Mina, penchée sur la mère de Ritsuko à l'hôpital, se pose à son tour les mêmes questions, sa mère et sa grand-mère ont eu leur propre histoire, elles ont décidé de mettre un enfant au monde alors ...
"Tout s'arrangera. Ne t'inquiète pas. Oui, c'est sûr que tout s'arrangera..."
Ritsuko, sa mère et sa fille, Fumiko, sa mère et grand-mère, Kiyoko et sa mère cachée, Mina et son futur bébé, Emma, une ronde de femmes décrites par Yûko Tsushima, elle-même élévée par sa mère seule puisque son père, Osamu Dazai, se donna la mort un an après sa naissance.