"La dame de beauté" Kikou Yamata
Ce livre est un roman d'amour. Mais un amour décalé entre deux êtres qui n'ont su se rencontrer.
Nobouko vit dans sa propriété terrienne avec son fils. C'est une femme solitaire et malheureuse, sans attaches affectives avec son mari qui habite à Tokyo avec une concubine. Elle se plie superficiellement aux usages de son milieu mais c'est un esprit indépendant qui juge avec ironie son mari et les autorités politiques. Car les temps sont cruels pour Nobouko. Le temps qui passe, elle aborde la quarantaine, même si elle est encore belle, elle sait qui lui reste peu d'années. Elle cherche une consolation auprès d'hommes qui ne la méritent pas. Et l'époque, le Japon entre en guerre. Elle est relativement à l'abri des restrictions grâce à son domaine et des inquiètudes politiques du fait du statut de son mari -elle est devenue chrétienne durant sa jeunesse. Mais son mode de vie doit changer. Elle a donné son alliance en or à l'armée, puis ses chiens -ses promenades solitaires deviennent mélancoliques- , elle ne doit plus être élégante -cela fait parie de l'effort de guerre-, les représentations de Nô cessent. Elle est désignée capitaine du groupe de défense aérienne.
"A travers ces obligations de patriote qui cataloguaient ses énergies et échafaudaient son temps comme une forteresse, malgré son incorporation à la masse du peuple pour l'effort de guerre, Madame Hayashi ne cessait de songer à ses soucis personnels.
Elle se voyait forcée par l'ambiance générale et les évènements à une revision de toute son existence."
Elle se sent de plus en plus seule, sans pouvoir recevoir l'aide de son mari. Même sa maladie ne va pas permettre une réconciliation.
Monsieur Hayashi, intimidé par la personnalité de son épouse, s'était d'abord montré maladroit. Sachant qu'il ne pourrait jamais la dominer et se sentant de plus en plus méprisé, il avait préféré fuir à Tokyo et ne revenait que rarement dans sa propriété.
A la mort de Nobouko, il s'installe dans la maison. Il ne cesse de penser à elle et s'inquiéter. Va-t-elle le laisser en paix?
"Une âme, cela erre, cela reprend comme un reflet sa forme corporelle. Une âme en peine, surtout, et solitaire comme l'avait été Nobouko.[...] Tous deux avaient encore à débattre une affaire intime et secrète, entre eux seuls. Quand apporteraient-ils une solution au conflit qu'ils n'avaient pas résolu sur terre?"
Il engage un gardien pour faire des rondes de nuit, un mutilé de Chine. Rassuré, il fait venir sa seconde femme et leur fils.
"Monsieur Hayashi triompha. Il tenait enfin sa femme, prisonnière dans sa réserve mortuaire du Temple de Kwannon."
Mais les jours terribles arrivent, les bombardements, la peur, l'humiliation. Il parle à sa femme, parfois lui reproche d'être morte, parfois l'envie. Un jour il prononce son nom avec amour. Elle est morte pour ne pas voir sa propre déchéance et celle de son pays.
"Elle s'est détournée de ce monde pour ne pas voir M. Hayashi échanger le kimono de ses noces contre un sac de sucre et un flacon de whisky."
Il l'aimait parce qu'elle avait été fière comme son pays l'avait été.
Kikou Yamata est née en 1895 à Lyon d'un père japonais et d'une mère française. Elle a vécu une vie insouciante, fêtée par le Paris littéraire des années 20. Dans une lettre à son éditeur, jointe au roman, elle avoue n'avoir pas compris en 1937 les conséquences de la politique japonaise.Inquiétée pendant la guerre à cause de ses écrits et emprisonnée, elle est sommée par les militaires japonais de choisir entre ses deux pays d'origine. Elle choisit la France. "La dame de beauté" fut écrit en 1953.