"Haute société" Vita Sackeville-West
Un portrait acerbe de la grande bourgeoisie et une douloureuse histoire d'amour dans l'Angleterre des années 30.
Evelyn Jarrold est une douce et jolie jeune femme -elle aborde la quarantaine- très proche de son fils Dan, un adolescent qui souffre dans son collège d'Eton. Son époux a été tué à la guerre. Elle s'ennuie un peu dans sa belle-famille si guindée, mais son éducation victorienne l'empêche de contester les conventions. Sa vie est oisive et futile.
Son beau-père, qui apprécie son élégance morale et physique, a fait fortune grâce au charbon. D'origine modeste, il est monté dans la hiérarchie de la société et espère recevoir le titre de baronnet.
Il ne se fait guère d'illusions sur ses enfants. "[l'Anglais de souche] s'occupait de ses terres, et n'avait pas honte de ses idées. Aujourd'hui, on lui a appris à réprimer ses sentiments jusqu'à n'en avoir plus aucun, et c'est encore plus vrai de ses idées. Il n'avait pas honte de ce qu'il savait. Aujourd'hui, si. Et il n'a rien mis à la place. Il conserve ses airs de supériorité et son respect du savoir-vivre, mais c'est là tout ce qu'il a hérité de ses ancêtres et c'est tout ce que toi [son fils] et tes semblables avez su conserver. C'est une marionnette [...}". Même son petit-fils Dan, qui sera son héritier, lui semble une mauviette, lui qui préfère la peinture à la chasse.
Lorsque Evelyn rencontrera Miles Vane-Merrick, jeune député aux idées réformistes, cultivé et ambitieux, deux mondes différents vont se côtoyer même s'ils sont issus d'un milieu identique.
Elle fera beaucoup de concessions, elle qui a tant de préjugés, qui redoute le jugement de sa famille, la perte de sa réputation. Elle fait l'effort de rencontrer les amis de Miles. "Elle avait beau les haïr, il lui fallait bien admettre qu'ils étaient francs, originaux, joyeux. Elle compara la légèreté de leur bavardage au creux persiflage des Jarrold. C'était une autre Angleterre. Ils pouvaient sembler quelque peu grossiers, ils étaient authentiques et intelligents [..]"
Miles va élargir ses points de vue et saura comprendre Dan. Mais ils n'attendent pas la même chose de leur amour. Evelyn voudrait que son amant soit plus présent, Miles est très occupé. "Sa vie était bien trop remplie, trop active aussi pour qu'il pût tenir compte des états d'âme purement féminins d'Evelyn. Il l'aimait, mais elle n'était pour lui qu'une distraction, et non pas toute sa vie. Il l'aimait, certes, mais surtout lorsqu'elle était gaie, heureuse, simple, calme aussi décorative que les fleurs qu'il voyait au jardin, par la porte ouverte. Il ne supportait pas qu'elle fût exigeante, tendue ou jalouse."
"[...] elle pensa qu'il est à la fois terrible et divin d'être aussi amoureuse. Et pourtant l'être aimé ne doit pas s'apercevoir de la violence de la passion: c'est bien là que réside, pour une femme, la solitude de l'amour. Si amoureux que nous puissions être l'un et l'autre, il existe une différence: pour lui le monde subsiste, pour moi il s'efface. L'univers masculin demeure tout à fait distinct de l'univers de l'amour. C'est pourquoi - et cette idée lui vint soudain à l'esprit- je ne dois lui être ni un obstacle ni un tourment. Je dois me plier à son humeur, et lui être reconnaissante de ce que j'en obtiens. C'est un homme, et je suis une femme. Sa vie est bien remplie, et la mienne est vide, ou du moins elle se nourrit que de ce qu'il me donne."
Leur histoire ne pouvait que mal finir.
C'est intéressant de lire Vita Sackeville-West (1892-1962) et son point de vue sur les relations femme- homme à travers Evelyn et Miles.