"Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines" tome 3 "Amours" traduite parJ.J Tschudin
Une belle journée comme aujourd'hui, prélude du printemps, n'est-elle pas idéale pour lire des nouvelles dont le thème est l'amour? Ou plus exactement la palette des sentiments amoureux.
Dans la postface Yoshinori Shimizu pose la question: "Depuis l'avènement de la littérature moderne, et même, si l'on sort de ce cadre chronologique, depuis la rédaction du Genji monogatari au début du XIème siècle, l'amour occupe une place centrale dans le genre romanesque.[...] Dans la mesure où l'on se contente de les regarder froidement de l'extérieur, les histoires d'amour sont toutes pareilles. Mais alors, pourquoi donc sont-elles encore, malgré tout, inlassablement écrites et inlassablement lues?"
Il donne deux réponses.
La première est que les protagonistes pris dans leur passion n'ont pas l'impression de vivre la même chose que les autres. Et que "l'amour est un état où l'on n'a plus accès au langage qui s'interpose entre le monde et soi et en harmonise l'expression. Ainsi l'amour est avide de paroles. Il espère panser ses plaies par les mots." Mais commencent les difficultés, les mots qui ont tant servis ne semblent pas convenir pas à leur propre émotion. "[...] l'amour, du point de vue littéraire, implique nécessairement un combat pour l'expression."
Les auteurs de cette anthologie n'ont pas, en général, été traduits en français, c'est donc une découverte. Ils sont pour la plupart nés dans les années 20-30 et ont commencé à écrire dans les années 50-60. Et il y a un grand nombre de femmes.
Dans les années d'après-guerre la société japonaise a beaucoup changé. La constitution accordait aux femmes des droits qui leur ont permis de s'émanciper. Plus de jeunes filles ont alors fréquenté l'université et le monde du travail s'est ouvert aux femmes. Les écrivaines ont alors suivi leurs aînées de presque mille ans. Dans le recueil ce sont elles qui osent le plus s'attaquer aux tabous: dans "Une histoire de galets" Chiyo Uno (1897-1996) décrit l'amour entre deux personnes âgées, elle a écrit cette nouvelle à quatre-vingt-quatorze ans. Dans "Contre-jour" de Kunie Iwahashi (1934) une étudiante libérée séduit un éminent professeur de son université alors qu'elle a une relation avec son fils. Ne souhaitant ni mariage ni vie de famille elle veut profiter de sa nouvelle liberté et vivre sa sexualité sans responsabilité. Publiée en 1953 cette nouvelle avait fait scandale. Dans "Feux d'artifice" d'Eimi Yamada (1959) Yoriko inquiète ses parents, elle a étudié dans une prestigieuse université et a obtenu un poste dans une importante entreprise. Mais elle est devenue serveuse dans un bar à Tokyo. Ils voudraient qu'elle rentre à la maison et qu'elle se trouve un mari sans plus tarder. Sa jeune soeur est envoyée à Tokyo pour la ramener. Conformiste, elle n'a que mépris pour la vie dissolue de son aînée. Horrifiée, elle comprend que sa soeur est entretenue par son amant. Mais Yoriko va faire évoluer sa petite soeur qui a des idées bien arrêtées sur les relations amoureuses et lui faire perdre ses illusions, car Yoriko est lucide sur sa liaison et pleine de compassion pour les hommes.
La seconde réponse de Yoshinori Shimizu est que malgré le caractère privé d'un sentiment amoureux, la société, la politique, les courants de pensée, la morale de l'époque interférent dans la relation entre deux amants. C'est peut-être ce qui date ce présent recueil.
En ayant obtenu la parole, les romancières ne pouvaient que traduire le combat, même dans les relations amoureuses, inévitable entre les hommes ayant encore une vision traditionnelle de la femme et les Japonaises qui aspiraient à l'indépendance.
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