"Le chrysanthème solitaire" manuscrit anonyme, présenté et traduit par Jacqueline Pigeot et Keiko Kosugi
Un "Nara-ehon" est un livret "illustré dans le style de Nara" nous expliquent les auteurs dans l'introduction. Cette forme, très en vogue aux XVIème et XVIIème siècles, était l'héritière des rouleaux qui mêlaient textes et illustrations. Sans doute produit en série et anonyme, il présentait de courts romans, mélodramatiques, satiriques ou fantastiques qui devaient plaire au plus grand nombre. C'était donc une littérature populaire. Chaque copie était manuscrite, calligraphiée en écriture phonétique (kana), les caractères chinois étaient peu nombreux. Les différents manuscrits d'un même récit pouvaient donc varier selon le copiste. De plus, les textes lus à haute voix devant un auditoire, pouvaient être modifiés par les improvisations du lecteur. Quelques centaines de cahiers sont conservés au Japon et dans des collections en Europe et aux USA.
Ce manuscrit "Le chrysanthème solitaire" a été offert à la Bibliothèque Nationale par les héritiers d'un collectionneur, Monsieur Lesouëf (1829-1906).
"Le chrysanthème solitaire" ("Hitomotogiku") se présente sous forme de trois fascicules brochés avec quinze illustrations en pleine page. Il semblerait qu'il date des alentours de 1661-1673. Il existe une vingtaine d'autres manuscrits.
Le roman situe l'histoire à l'époque Heian, autour de 947-957. Hyôenosuke et sa soeur (dite La Demoiselle) sont orphelins. Leur belle-mère, ancienne nourrice de l'empereur, voulant favoriser ses propres enfants, demande à l'empereur d'exiler Hyôenosuke qui sert à la cour. Le prince Hyôbukyô, frère cadet de l'empereur, est amoureux de la jeune fille. La belle -mère craint qu'elle ne devienne impératrice au détriment de sa propre fille. Elle décide de l'éloigner en secret er de l'enfermer dans un quartier lointain. La fin est heureuse, le prince devenu empereur épouse son amante qui lui a donné un fils, Hyôenosuke revient à la cour et obtient un rang élevé. Les méchants, la belle-mère et ses enfants seront punis.
De nombreux poèmes accompagnent le déroulement de l'histoire. Les auteurs précisent en introduction que le roman est une adaptation d'un récit (monogatari) datant de cette époque, qui a été perdu, mais dont on a conservé deux poèmes compilés dans l'anthologie poétique Fûyô-wakashû datant de 1271. Le premier poème composé lors d'un "banquet de chrysanthèmes" par l'empereur et le second par le grand chancelier sur la route de l'exil. Ces deux poèmes figurent dans le manuscrit qui a du fidèlement suivre la trame de l'ancien récit.
"Le Chrysanthème solitaire" fait penser au "Genji monogatari", description de la cour, ses luttes souterraines et ses rivalités, l'exil dans les provinces lointaines pour les vaincus qui est vécu comme une condamnation à mort, relations entre hommes et femmes mélange de brutalité et de raffinement (le prince s'introduit de force dans les appartements de la jeune fille), description de l'intérieur des palais, des vêtements des femmes etc.
Mais quelques ajouts datent le roman à l'époque Muromachi ( XIVème- XVIème) selon les auteurs. Les allusions à la piété des fidèles pour Kannon qui effectuent des pélérinages dans quatre grands temples( c'est en rentrant d'un de ces pélérinages que le prince retrouve la Demoiselle). Ainsi que la fin moralisatrice du roman, cliché selon eux de cette période Muromachi.
Le symbolisme du chrysanthème,emblème impérial, est complexe. Venu de Chine, il symbolise la longévité. Il apparaît dans de nombreux poèmes de voeux ou de félicitation.
Dès l'époque Heian il représente l'automne et de nombreux "concours de chrysanthèmes" étaient organisés pour honorer cette fleur par des poèmes.
A partir de 686, le neuvième jour de la neuvième lune, la cour japonaise suivant un rite chinois (le 9 était associé au yang) célébra ce jour faste par des "banquets de chrysanthèmes".
Le chrysanthème blanc est particulièrement apprécié pour sa beauté. Il est l'image de l'amour fidèle (le prince fait porter à la jeune fille un chrysanthème blanc en gage d'amour sincère).
Mais comme toute fleur il se fane. Il symbolise aussi la précarité de la beauté, l'éphémère. Il devient l'image de l'inconstance des amants qui oublient ou le dépérissement des amants abandonnés.
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