"Love & Pop" Murakami Ryû
Nous suivons Hiromi, qui a seize ans, durant la journée du 6 août 1996.
Lorsqu'elle s'éveille, sa mère, qui part travailler, lui a préparé son petit déjeûner. Puis elle s'interroge sur les vêtements qu'elle doit choisir pour passer la journée avec ses trois amies à faire du shopping. Elle veut s'acheter un maillot de bain pour aller à la plage la semaine suivante. Elles sont toutes de fines connaisseuses des marques à la mode et des boutiques où il faut acheter. En déambulant dans les allées du grand magasin 109 où elles se sont donné rendez-vous, Hiromi tombe en admiration devant une bague dont la pierre est une topaze impériale. "Cette bague avait frappé son regard et elle sentit son coeur se serrer."[...]
"- Hiromi, tu en as envie tout de suite? dit Takamori Chieko
- Oui, acquiesça Himori. Comment avaient-elles compris? se demanda-t-elle. Lorsqu'on a envie d'une chose, il faut tout faire pour l'obtenir sans tarder car les choses changent de nature après une ou deux nuits et redeviennent ordinaires. Elles le savaient très bien comme elles savaient qu'il n'existait pas une seule lycéenne capable de travailler six mois dans un MacDonald's pour se payer un sac Prada."
La bague coûte très cher et les quatre amies n'ont pas assez d'argent. Mais elles ont la solution pour s'en procurer très vite. Accepter la proposition d'un homme qui se tenait à l'entrée du magasin. Pour 130 000 yens, elles l'accompagnent dans un karaoké. Hiromi refuse la totalité de la somme que lui offrent ses amies. Elle partage leur butin. Elle a donc encore besoin d'argent.
Hiromi va accepter deux autres rendez-vous dans l'après-midi. Qui ne se passent pas aussi bien qu'elle l'avait prévu.
En fin de soirée Hiromi va rendre le téléphone portable qu'elle a utilisé à son propriétaire et elle se confie à cet homme, Kobayashi, homosexuel, qui s'est prostitué dans sa jeunesse.
L'homme du dernier rendez-vous, qui lui a fait si peur, lui a dit:
"C'est pas une chose à faire, ce que tu fais! Se mettre nue devant un homme que tu ne connais pas. [...] Maintenant qu'on te touche les seins, que tu es nue, dans un moment pareil, maintenant, il y a quelqu'un que le chagrin accable, quelqu'un de triste à en mourir!"
A travers Hiromi, Ryû Murakami nous parle des lycéennes qui acceptent des "rendez-vous arrangés", par l'intermédiaire de messageries téléphoniques, avec des hommes qui les paient. Une forme de prostitution qui permet aux jeunes filles de s'offrir des vêtements et des objets de luxe.
L'écrivain ne juge pas. " Ces jeunes filles éprouvent-elles ou non un sentiment de culpabilité? [...] Ce sentiment de culpabilité est un phénomène social et la littérature n'a que faire des questions de moralité." dit-elle dans la postface.
Et si les produits de marques n'étaient qu'un prétexte? Et si ces jeunes filles qui semblent si creuses et futiles cherchaient à sortir de leur solitude?
L'auteur fait dire à son personnage Kobayashi, qu'Hiromi écoute:
Chaque être humain a de la valeur, il ne faut pas la détruire, la dévaluer; alors que tant de personnes sont maltraitées par d'autres, il ne faut pas y ajouter ta propre humiliation.
Chaque homme, même pervers, a sa part de bienveillance.
On a besoin de vivre entouré de gens que l'on connait, de gens protecteurs surtout lorsqu'on est jeune. Mais on a aussi besoin d'ouverture, de rencontre avec "l'autre", de l'espoir que cet "inconnu" va ouvrir tous les champs du "possible".
Et si c'était cela que ces lycéennes recherchaient?
La solitude dans un bruit de fond incessant que l'écrivain ajoute dans son roman, bribes de conversations entendues, émissions radiophoniques, paroles des chansons à la mode. Histoires des autres par leurs messages téléphoniques. Pression de la société de consommation avec la litanie de marques de vêtements, de parfums. Violence.