"Les sortilèges du Cap Cod" Richard Russo
Peut-on cesser d'être le fils (ou la fille) de ses parents? Jack Griffin le souhaiterait lorsqu'il se surprend à réagir comme son père.
Enfant, combien de fois avait-il vu son père figé au centre d'une pièce, incarnation même de la perplexité, ne sachant vers qui se tourner, une épouse en colère d'un côté, de l'autre, une jolie petite étudiante qui l'avait pris pour un des héros romantiques au programme? A croire que s'il restait là suffisamment longtemps, son désir le plus cher se réaliserait de lui-même. Griffin, lui, voulait qu'il se décide, qu'il passe à l'acte, tant il était effrayé de voir quelqu'un à ce point pétrifié, incapable de faire un pas en avant qui aurait impliqué de choisir une destination.
Son père décédé depuis dix-huit mois et dont l'urne est toujours dans le coffre de sa voiture...
Griffin qui comprend que son mariage se délite, qui ne se sent pas d'aplomb et qui ne sait quoi faire.
Griffin est sur la route du Cap Cod, il est seul, il est parti sans attendre son épouse - il sait que c'est une erreur - qui le rejoindra demain pour assister au mariage de l'amie de leur fille.
Il redevient le petit garçon assis sur le siège arrière écoutant chanter ses parents, qui, en traversant le pont Sagamore, commençaient leurs vacances au Cap. Professeurs d'anglais dans une université de l'Indiana, qu'ils jugeaient trop modeste pour leurs ambitions, ils venaient chaque année respirer l'air de l'est, louant une maison plus ou moins modeste selon les moyens du moment. Leur espoir étant de rejoindre une faculté prestigieuse et d'avoir la possibilité d'acheter une maison à Falmouth ou Chatham ou tout autre endroit du Cap Cod.
Il redevient le jeune homme qui a passé sa lune de miel à Truro avec Joy. Jeunes mariés se faisant des promesses pour leur avenir. Elle aurait préféré le Maine où elle passait ses vacances, mais Griffin avait choisi le Cap Cod.
Griffin avait traversé les USA pour s'éloigner de ses parents, s'était installé à Los Angeles et écrivait des scénarios pour le cinéma. Il avait épousé Joy qui n'avait pas soutenu une thèse- au grand mépris de sa mère- mais lui-même ne méprisait-il pas sa nombreuse belle-famille. Il avait promis à Joy de devenir professeur, de retourner sur la côte est et de lui offrir la maison de ses rêves pour leur future famille.
Ses parents avaient divorcé, leurs souhaits déçus les avaient rendus aigris, son père était parti avec une étudiante, sa mère de plus en plus féroce vivait avec un professeur de philosophie qui préférait rester muet. Il avait tenu quelques promesses à Joy, ils avaient une fille, ils étaient revenus sur la côte est, il enseignait l'écriture. Il avait tenu sa mère éloignée de sa fille et de sa femme pour les protéger lui semblait-il.
Après le mariage, Griffin et sa femme ont prévu de finir le week-end à Truro. Mais tout se passe mal. Joy retourne dans leur maison du Connecticut et Griffin part à Los Angeles.
Un an plus tard ils se retrouvent pour le mariage de leur fille. Chacun est accompagné.
Griffin a maintenant deux urnes dans le coffre de sa voiture. Sa terrible mère est décédée. Il l'a assistée pendant son séjour à l'hôpital. Lui a-t-elle encore menti dans ses dernières confidences? Même morte elle continue à lui lancer ses sarcasmes comme avant au téléphone.
A-t-il aimé ses parents? L'ont-ils aimé? Va-t-il se libérer et accepter leur mort?
"Depuis hier, mais il se peut que ça remonte à plus loin, je m'interroge..." Il s'arrêta, ignorant comment poursuivre alors que les choses ne pouvaient être plus simples. "Je ne suis pas certain d'avoir aimé mes parents. C'est fou, je sais, mais... Tu crois que c'est possible?
Joy l'aime-t-elle encore? Veut-il sauver son mariage?
Tu penses qu'on a encore une chance, tous les deux, ou est-ce que j'ai tué tout ce qui nous restait?