"Le pèlerinage" Osamu HASHIMOTO
Chûichi était un garçon docile. Ses parents tenaient une petite quincaillerie, le Marukamé-ya, dans le quartier de la gare d'un bourg de campagne et avaient pour clients les paysans des environs. Adolescent à la fin de la guerre, il avait pu continuer ses études et aller au lycée technique. Son diplôme obtenu, son père l'avait fait engager comme employé à demeure chez un important commerçant, grossiste en quincaillerie.
Une dizaine d'années étaient ainsi passées, sans trop de problèmes pour Chûichi. Des choses changeaient bien sûr. Il était ami avec un commis de son âge qui partageait sa chambre, mais celui-ci avait épousé la cuisinière et s'était installé dans sa propre maison. Il comprenait aussi que la bru de ses patrons n'était pas d'accord avec les traditions et aurait souhaité que les employés ne partagent plus la vie familiale, mais elle n'avait pas son mot à dire tant que les parents vivaient.
Il rendait visite de temps en temps à sa famille. Son jeune frère Shûji allait à l'école. Son père parlait de la gare qui allait s'agrandir, du quartier qui allait être démoli, du magasin qu'il faudrait déplacer. Mais ils vivaient toujours dans la vieille maison et Chûichi ne prêtait pas attention à leurs propos.
Chûichi ne s'était pas rendu compte des changements que subissait son village natal. Peu à peu les champs devenaient des lotissements. Les clients de la quincaillerie changeaient. Les ménagères remplaçaient les paysans et leurs demandes n'étaient plus les mêmes. Elles cherchaient des ustensiles de cuisine qu'elles avaient du mal à trouver. La mère de Chûichi avait évolué avec sa nouvelle clientèle pour répondre à ses besoins, même si c'était toujours le vieux Marukamé-ya.
Puis son père avait demandé à ses patrons de lui chercher une épouse. Il avait accepté Yachiyo. Leur mariage avait été décidé, puis retardé. Car, enfin, après toutes ces années d'attente, le quartier s'agrandissait, on construisait une nouvelle gare, une rue avec de nouveaux commerces pour répondre à l'accroissement de la population. Il avait fallu démolir le magasin. Et construire une nouvelle maison, plus loin, plus grande. L'étage était réservé aux deux frères.
Chûichi s'était installé avec sa femme dans une des chambres. Shûji habitait l'autre. Il finissait ses études d'électricité.
Chûichi travaillait avec ses parents. Il y avait tant de chantiers dans les environs que les besoins en matériaux étaient importants. Le père décida de transformer leur quincaillerie en commerce de tuiles. Leur entreprise prospéra.
Mais l'enfant de Chûichi mourut et sa femme retourna chez ses parents. Shûji et sa jeune épouse quittèrent la maison. Le père eut une attaque.
Chûichi et sa mère restèrent seuls. Ils travaillaient sans relâche. Il s'enfermait dans le silence. Une seconde épouse fit un passage éclair. La mère mourut à son tour. Chûichi était seul dans la maison familiale.
Il avait trouvé un jouet cassé, abandonné dans la rue. Il l'avait apporté chez lui et réparé. Peu à peu il se mit à récupérer de vieux objets.
La vente des tuiles périclita, on utilisait désormais des matériaux prêts à poser dans la construction des immeubles. Chûichi était assez vieux et assez riche pour ne pas s'en préoccuper.
La maison était maintenant entourée de pimpants pavillons. Au grand déplaisir de ses voisins, Chûichi continuait à entasser des détritus dans la maison, puis dans le jardin. Nuisances, mauvaises odeurs, débuts d'incendie, rien ne stoppait le vieux monsieur qui insultait les gens qui se plaignaient. Pétitions à la mairie. Rien ne bougeait. En désespoir de cause, les voisins avaient alerté la télévision. Après l'émission, aucun résultat. Sinon que des personnes passaient en voiture prendre des photos ou même jeter leurs ordures.
Lors d'un second reportage, après un incendie, Shûji reconnut son frère. Il décida de retourner à la maison et de retrouver Chûichi qu'il n'avait pas vu depuis quarante ans. Il fut épouvanté à la vue de l'amas de poubelles dans les pièces, seules les chambres de l'étage n'étaient pas envahies. Que s'était-il passé dans l'esprit de Chûichi? Il réussit à le convaincre de tout jeter et de rendre la maison à nouveau propre. Une semaine de travail et trois camions de vingt tonnes furent nécessaires.
Puis il lui proposa de l'accompagner dans un pèlerinage qu'il voulait faire depuis qu'il était veuf et à la retraite. Les quatre-vingt-huit stations de Shikoku. Les pèlerins vont à pied de temple en temple et demandent à Daishi (Kôbô-Daishi ou Kûkai, fondateur du bouddhisme ésotérique Shingon, note du traducteur) ce qu'ils doivent faire dans l'avenir.
Shûji espérait que son frère retrouverait le goût de vivre. Il semblait le suivre sans bien comprendre ce qui s'était passé, sans tristesse mais sans joie. Réussira-t-il?
Je ne peux dire la fin, mais ce roman est passionnant aussi bien pour l'étude de l'évolution de Chûichi que pour la description du changement du Japon quelques années après la guerre.