"Toujours partir" Anne Tyler (1977)
Charlotte avait toujours voulu partir, pour fuir sa mère, puis sa mère et son mari, puis les trois frères de son mari.
Elle était partie deux fois. La première fois, elle avait sept ans, elle avait été élue la plus jolie petite fille du canton lors de la foire agricole et à la fin de la journée, une dame l'avait prise par la main et emmenée dans sa roulotte. Mais le mari l'avait reconduite à ses parents qui la cherchaient partout sur le champ de foire. La seconde fois, elle était partie à l'université, mais le jour de la rentrée scolaire son père avait eu un accident cardiaque et elle était retournée à la maison pour gérer son petit magasin de photographe.
Lorsqu'elle était enfant, elle admirait leur voisine qui venait voir sa mère et lui raconter en riant tous les problèmes que lui causaient ses quatre fils. Charlotte la trouvait enjouée, fantasque et bohème. Tout ce que n'était pas sa mère, trop grosse et trop triste. Elle avait été institutrice, ses élèves l'adoraient, mais elle savait qu'en grandissant ils deviendraient moqueurs et feraient des plaisanteries sur son poids. Elle s'était mariée avec un photographe venu à l'école. Elle avait cessé d'enseigner, ils s'étaient installés dans sa maison natale et il avait ouvert une boutique où il photographiait le voisinage. Puis Charlotte était née. Elle grandissait dans une maison triste et silencieuse. Mais un jour elle partirait.
Fantasque sa voisine l'était. Elle avait quitté son mari et ses fils et s'était enfuie en Californie avec son beau-père. Le mari était mort et les fils s'étaient dispersés abandonnant la maison.
Le père de Charlotte lui aussi était mort, elle n'était donc pas allée à l'université. Elle faisait des photos à sa place. Sa mère avait affiché sur la porte "chambres à louer". Et c'est ainsi qu'un des frères Emory, de retour en ville, s'était installé chez elles. Et avait épousé Charlotte. Il était devenu pasteur. Ils avaient eu une fille. Charlotte comprenait que le piège se refermait peu à peu.
Les trois autres frères étaient revenus les uns après les autres et habitaient chez Charlotte et sa mère. L'un d'entre eux avait remis le magasin de radio de son père en état, désormais il réparait les télévisions.
Amos, le frère aîné, était revenu le dernier. Charlotte et lui avait une liaison, il était si tendre et attentionné, tout le contraire de son mari, si sûr de trouver toutes les réponses dans la bible. Amos lui avait dit "je pensais que tu restais dans cette maison et que tu t'occupais de tous par dévouement parce que tu es une si bonne personne. Mais maintenant que ta mère est morte, j'ai compris que tu restais parce que tu ne voulais pas partir." Et il s'en était allé.
Charlotte avait caché un traveller-chèque au fond de son sac et acheté des chaussures de marche. Petit à petit, elle vidait la maison de ses meubles, elle jetait les rideaux, les tapis. Tout ce qui l'encombrait et retenait sa fuite. Au début elle avait pensé partir avec sa fille, mais les années passant, elle était devenue une adolescente pouvant vivre sans sa mère. Charlotte partirait seule.
Un matin sa décision était prise, elle irait à la banque retirer de l'argent puis elle prendrait le bus. Elle faisait la queue devant le guichet, mais son voisin avait fait un hold-up et l'avait prise en otage en la menaçant avec un revolver. Ils s'étaient enfuis jusqu'à Baltimore, il avait volé une voiture et ils avaient roulé vers le sud, vers la Floride. Son ravisseur était un jeune du coin, qui voulait rejoindre son copain parti avec sa mère ouvrir un motel en Floride. Au passage, ils feraient sortir sa petite amie, enceinte et mineure, placée dans une institution de filles-mères. Ensuite, promis, elle serait libre.
Charlotte était enfin sur la route. Et même sous la containte d'un revolver, maîtresse de sa vie. Son ravisseur était un brave garçon au fond, un peu paumé, Charlotte ne lui en voulait pas. A la fin du voyage, elle avait même de la tendresse pour lui. La réaction de son copain à leur arrivée n'avait pas été celle espérée. Qu'allaient-ils devenir ces deux jeunes, la fille prête à accoucher?
Et Charlotte qu'allait-elle faire de sa liberté?
Que sont nos rêves de l'enfance devenus? Anne Tyler donne une des réponses possibles.
"En suivant les étoiles" (1974)
Mary est une autre femme qui part. Elle a quitté son mari pour suivre John qui l'a installée avec sa fille Darcy dans une minable pension de famille à Baltimore. Mais John qui devait divorcer et vivre avec elles, l'abandonne. Mary est contrainte de rester dans la pension et de chercher du travail. Il y a trois autres pensionnaires installés depuis de nombreuses années. Et un jeune homme qui occupe "la chambre des étudiants" où les étudiants se succèdent au fil des ans.
La propriétaire vient de décéder, laissant son fils Jeremy seul pour gérer la pension. Jeremy est un artiste qui a son atelier au dernier étage. A la mort de leur mère, ses deux soeurs auraient voulu vendre la maison mal entretenue, mais Jeremy s'y est opposé. C'est un jeune homme au début de la trentaine, velléitaire, agoraphobe, qui a toujours été protégé par sa mère. Incapable de traverser la rue, il ne sort jamais de chez lui. Son galériste vient régulièrement chercher ses sculptures et les vend tant bien que mal. Il parle peu, n'aime que la routine qui le rassure, mais ses trois vieux pensionnaires sont habitués à ses manies et la pension garde sa sérénité.
Mais c'était avant l'arrivée de Mary. N'ayant pas d'argent, Jeremy a été obligé de louer la chambre de sa mère où se sont installées Mary et Darcy, sa petite fille de quatre ans. La vie est entrée dans la maison. Mary est une jolie jeune femme, solide, qui ne se laisse pas abattre par l'abandon de son ami.
Jeremy est séduit et amoureux. Il propose à Mary le mariage afin de stabiliser sa situation. Elle est mariée et son époux refuse le divorce. Qu'importe, Jeremy lui suggère un faux mariage, elle pourrait rester et devenir la maîtresse de maison et les pensionnaires n'en sauraient rien.
Mary accepte. Au fil des ans la maison s'anime, un enfant, puis un autre. Mary s'épanouit au fur et à mesure des naissances. Bientôt six. La "chambre des étudiants" est occupée par les enfants. Une des pensionnaires est morte. Les deux autres s'occupent de la maison avec Mary. Jeremy essaie de suivre le rythme. Il est obligé d'accompagner Mary à l'hôpital à chaque naissance et va la chercher avec les enfants quelques jours plus tard. C'est déjà un effort pour lui.
Son mari a enfin accepté le divorce, elle a reçu une lettre de sa belle-mère. Elle demande à Jeremy de l'épouser pour de vrai cette fois.
Jeremy va-t-il accepter de descendre de son atelier et de devenir un vrai mari et un vrai père? Mary l'aime tendrement, mais elle est fatiguée de prendre toutes les décisions, d'être responsable de tout.
Jeremy perpétuellement angoissé ne fera pas le geste que Mary attend.
Et lorsqu' enfin il aura le courage d'aller les chercher, Mary, sans le vouloir, avec quelques mots, achèvera leur histoire.
Partir ou revenir. Charlotte et Mary sont deux femmes fortes, cherchant, chacune à sa manière, leur place. Sans éclat ni révolution, Anne Tyler est une féministe.