"Dans les plis du kimono" Jocelyne Godard
"Le Dit des Heiké" tr. René Sieffert
Jocelyne Godard nous emmenait avec son roman "Au bout de l'éventail" dans le Japon de l'an mil. (note du 10 août)
A l'époque Heian, le Japon vivait une période pacifiée. Autour de l'empereur le clan Fujiwara régnait sur le pays, en particulier le grand Michinaga. Les gouverneurs géraient l'administration dans les provinces. Leurs déplacements étaient protégés par des gardes car les brigands ne manquaient pas sur les chemins, ainsi que les entrées de la capitale. Et même s'ils ne s'aventuraient pas vers l'extrême nord du pays, le Japon restait alors sûr. A la cour, les aristocrates pouvaient donc se consacrer à la poésie, à la musique et à la gestion de leurs magnifiques domaines autour du palais.
A l'époque Kamakura, il n'en était plus de même.
Jocelyne Godard situe son roman "Dans les plis du kimono" pendant la seconde moitié du XIIème siècle dans le clan Minamoto.
"Le Dit des Heiké" (le clan Taïra) est le troisième volet du cycle épique relatant l'affrontement de deux clans de guerriers, les TaÏra et les Minamoto, pour supplanter les Fujiwara qu'ils jugeaient incompétents sur le plan militaire. Durant deux décennies, au milieu du XIIème siècle, des coups d'état, des trahisons, des massacres, des guerres vont mettre des milliers d'hommes sur les routes, semant terreur et mort.
En 1160, le chef du clan Taïra -Taïra no Kiyomori (1118-1181)- prit le pouvoir après avoir éliminé ses deux adversaires Fujiwara et Minamoto ("Dit de Heiji"). L'empereur, encore un enfant, et l'Empereur Retiré - qui ne cessera de comploter -ne pourront s'opposer à sa rapide ascension. A partir de 1167, devenu Grand Ministre, il excercera un pouvoir absolu même s'il avait de nombreux ennemis. Dans les deux camps, les moines agissaient souvent dans leur propre intérêt et celui de leur temple.
Après la mort de son père, le nouveau chef de clan Minamoto no Yoritomo (1147-1199), aidé de ses frères -dont Yoshitsuné qui se montra un habile statège et audacieux général- leva une armée dans les provinces orientales et défia le clan Taïra. Après plusieurs défaites, le clan TaÏra trouva refuge dans ses terres de l'ouest, entraînant le jeune empereur Antoku, petit-fils de Kiyomori, dans la ville de Fukuhara (actuelle Kobé) que Kiyomori avait fondée. Dans le camp adverse, un frère d'Antoku avait été intrônisé dans la capitale Tokyo, ce sera l'empereur Gotoba.
Un an après la mort de Kiyomori, les deux clans se livrèrent une ultime bataille près de Fukuhara. Vainqueur des Taïra, Yoshitsuné y trouva la gloire. Mais aussi la jalousie de Yoritomo qui voyait en lui un possible rival. Sa fin tragique l'a rendu très populaire et "Les Chroniques de Yohitsuné" racontent ses exploits et ses malheurs.
L'empereur Antoku, sa mère et de nombreuses épouses du clan périrent lors de l'assaut de leurs navires. Le clan Taïra fut exterminé jusqu'à son dernier membre.
La tante du jeune Antoku, Shikishi Naishinnô (morte en 1201), grande poétesse, mais prise dans les remous de ces guerres civiles, a écrit ce tanka plein de tristesse:
"La brume du soir se noue au fond de mon coeur
Et l'automne comme moi s'avance vers l'hiver" ("Poèmes de tous les jours" Ôoka Makoto tr. Yves-Marie Allioux)
La victoire de Minamoto Yoritomo annonce une nouvelle structure politique pour le Japon, le gouvernement des "shôgun" qui contrôlaient l'armée, la police et la justice. Et la prise de pouvoir d'une nouvelle classe, les guerriers ("bushi") qui restera dominante jusqu'à la fin du XIXème siècle.
Le roman de Jocelyne Godard commence à la mort de Minamoto Yoshitomo, tué par les Taïra. Son fils aîné Yoritomo est retenu prisonnier sur un îlot de la péninsule d'Izu. Hojo Tokimasa, allié des Minamoto, lui rend visite chaque année. Sa fille Masako l'a déjà accompagné plusieurs fois et est tombée amoureuse du jeune homme. Bien décidée à le libérer et l'épouser, elle refuse le mari choisi par son père et s'enfuit de sa maison. Après un dangereux périple, aidée par des moines ennemis des Taïra, elle réussit sa mission.
Maintenant elle n'a qu'un but, faire de son mari le vainqueur des Taïra. Elle-même, si elle ne pouvait devenir un samouraï, serait une femme forte et courageuse sur laquelle Yoritomo pourrait s'appuyer. Maniant le sabre et l'arc, elle irait chevauchant près de ses hommes, les encourageant avant la bataille.
De retour sur ses terres à Kamakura, Yorimoto et Masako commencent à mettre leur plan à exécution. Faire revenir en secret ses frères exilés, lever une armée parmi les hommes de la région, créer le "bakufu" voulu par son père. Un endroit où se regrouperaient les campements, où les chevaux et les armes seraient assemblés, où les soldats s'entraîneraient. Les Taïra, dont les armées se concentraient autour de Tokyo, n'avaient pas la place pour des entraînements quotidiens. Et ils devenaient trop sûrs de leur invulnérabilité puisqu'ils étaient les maîtres absolus du pays. Aux Minamoto de profiter de ces faiblesses.
Jocelyne Godard décrit les différents combats historiques où les deux armées s'affrontent. Et le recul progressif des troupes du clan TaÏra.
Et les efforts de l'ambitieuse Masako pour faire de son époux le premier shogun de l'histoire. Elle a écrit le code des guerriers, qui devront par le devoir, l'honneur, le courage et la fidélité à leur seigneur devenir la future noblesse du pays.
Mais elle avance ses propres pions. Elle doit avoir un fils pour préserver sa position d'épouse. Ecarter les concubines qui présenteraient un danger. Car ainsi était le sort des femmes, elles pouvaient être répudiées et devaient accepter la polygamie. Masako a perdu plusieurs enfants et seule une fille a survécu. Son avenir est donc incertain malgré toute l'aide qu'elle apporte à Yorimoto. Pourtant, c'est elle qui va obtenir un entretien avec l'empereur pour lui présenter leurs projets. C'est elle qui va à la cour pour obtenir les soutiens nécessaires.
Elle prépare aussi l'avenir de sa fille qui leur assurera le soutien de l'empereur en devenant sa favorite.
Elle aura trois fils, les deux aînés deviendront 2ème et 3ème shogun.
"Masako suivrait de près la ratification des nouvelles lois, tout en réfléchissant à la façon dont il faudrait tenir les gouverneurs de provinces sous l'autorité du shogun.[...] Tout était à refaire selon les ordres du shogun, et personne ne pourrait se mettre entravers de ses instructions.[...]
Chacun des grands quartiers de la ville serait tenu désormais par un bureau de police à la tête duquel serait nommé un haut fonctionnaire militaire [...]"
Yorimoto devint ainsi le maître absolu du pays, mais jamais il ne toucha aux prérogatives de l'empereur et de son gouvernement. Ses deux frères avaient été tués. Et Yoshitsuné, déjouant une tentative d'assassinat, prit la fuite avec sa femme et son enfant, vers les Marches du Nord pour rejoindre des Fujiwara qui résistaient encore au pouvoir de Yorimoto. Après la mort de l'enfant, poursuivis par les sbires de son frère, Yoshitsuné préféra tuer sa compagne et se donner la mort.
Yoritomo s'installe à Tokyo et Masako passe l'hiver dans la capitale et l'été dans leur domaine de Kamakura. Un hiver elle décide d'emmener ses aînés, son fils irait à l'école administrative et sa fille entrerait à la cour.
Mais tout est éphémère...
Une épidémie de peste survient à Tokyo et lorsque Yorimoto peut revenir chez lui, il informe Masako que leur fille était morte. Puis lui-même est attaqué par un ours lors d'une chasse et précipité dans un ravin.
Toutes les ambitions de Masako s'effondrent. Son fils n'est pas encore assez mature pour devenir shogun. Malgré son chagrin, elle garde son sang-froid, il ne fallait pas perdre le shogunat, elle décide de prendre le régence. Elle partagera la charge avec son père du clan Hojo, il ira à Tokyo, elle restera avec son armée au bakufu. Mais son fils lui dispute son pouvoir, et il profite d'une courte absence de son grand-père pour se faire nommer shogun. Il fait de nombreuses erreurs qui mécontentent l'empereur. Masako sentant le danger le destitue et l'enferme dans un monastère. Et elle nomme son deuxième fils. Aveuglé par son ambition, son père lui aussi commet une grave erreur dans ses fonctions de gouverneur de Tokyo en voulant donner des ordres aux membres du gouvernement impérial. Yorimoto et Masako avaient toujours respecté la séparation des pouvoirs et ainsi gardé le soutien de l'empereur. Gotoba décide de lever une armée pour détruire le bakufu des Minamoto. Masako est victorieuse, le bakufu et le shogunat sont sauvés.
Gotoba fut déposé et exilé avec sa famille et un autre empereur nommé.
Son second fils assassiné, le fils de son frère devint shogun. Après le clan Minamoto, le clan Hojo avait le pouvoir. Masako finit sa vie dans un monastère.