"Félicie de Fauveau - Portrait d'une artiste romantique" Emmanuel de Waresquiel
Contemporaine de George Sand - mais avec des idées politiques diamétralement opposées- Félicie de Fauveau semble être oubliée de nos jours. Elle a pourtant été un sculpteur célèbre à son époque. Il est vrai qu'elle a passé une grande partie de sa vie en exil et qu'il ne reste que peu de ses oeuvres.
Elle est née en 1801 dans une riche famille de la finance, originaire de Bourgogne, anoblie en 1740, mais son grand-père et son père ont fait de mauvaises affaires et ont connu des difficultés financières avant même la Révolution. Son père a fui Paris et s'est réfugié en Italie où sa première fille - Félicie -va naître. Il rentrera en France sous l'Empire et occupera de modestes emplois, en particulier à Besançon. La famille a du souffrir de ce déclassement, ce qui peut expliquer la haine de Félicie pour tout ce que la Révolution a créé et sa nostalgie de la royauté et de l'ancienne hiérarchie sociale.
Félicie commence la peinture, à Besançon elle a un atelier près de la maison de ses parents. Mais on ne sait quels furent ses maîtres. Son père meurt en 1826. La famille retourne à Paris et Félicie entre à l'atelier d'un célèbre portraitiste Louis Hersent. Elle fait la connaissance d'Ary Scheffer et d'Ingres. Bientôt elle préfère la sculpture. Elle écrira dans ses mémoires, que, heurtée par les dommages faits lors de la Révolution aux églises, aux statues, aux armoiries, elle s'était vue comme restauratrice de ce passé glorieux de la monarchie et du christianisme.
Elle vit avec sa mère entourée de nombreux peintres et sculpteurs. Dans les années de la Restauration sous le règne de Charles X, émerge un nouvel attrait du Moyen Age et la Renaissance. ["Nous avons tout inventé, y compris le Moyen Age", écrira en forme de boutade le critique Jules Janin à propos de ses amis romantiques.] Félicie y est particulièrement sensible.
En 1827 elle expose sa première oeuvre, "Le Monaldeschi", représentant la reine Christine de Suède refusant la grâce de son grand écuyer et amant qui l'avait trahie. Deux visiteurs particuliers la remarquent, le premier Alexandre Dumas qui va écrire sa tragédie "Christine à Fontainebleau" jouée six mois plus tard, le second Henri Beyle qui écrit un article élogieux. Stendal écrit ["Tout cela est naturel, beau, plein de feu et ne laisse aucune place à la plaisanterie. (...) Je serais sûr de paraître extravagant si j'avouais que je trouve plus de mérite dans ce pauvre petit bas-relief, de quelques pouces de haut, que dans telle statue équestre prônée par Le Moniteur"]. Son ami, le critique Antoine Jal assure de son côté ["Mlle de Fauveau fera une révolution dans une partie de l'art qu'elle cultive."]
La révolution de 1830 va bouleverser sa vie. L'arrivée au pouvoir de Louis-Philippe de la maison d'Orléans, branche cadette des Bourbons et régicide en 1793, sépare les royalistes en deux camps. Pour les défenseurs des Bourbons [le droit divin, la succession, l'hérédité, la primogéniture l'emportent à leurs yeux sur tout le reste précisément parce qu'ils ne sont pas des circonstances, des accidents qui dépendent de la volonté de l'homme. La sensibilité contre-révolutionnaire de Félicie de Fauveau s'accorde parfaitement avec ce sens-là d'une histoire presque exclusivement habitée par des rois et des saints. En revisitant le passé, elle cherche, de part et d'autre de la révolution -celle de 1789 et celle de1830- à "renouer la chaîne des temps". Prêter l'esthétique du règne des Capétiens et des Valois à la cause des Bourbons qu'elle va bientôt défendre passionnément, c'est mettre la question de l'hérédité -dynastique, chrétienne- au coeur de ce qu'on pourrait appeler une esthétique de la légitimité. La légitimité est bien le fil d'Ariane -face au Minotaure de l'usurpation et de l'incroyance- de ses combats, de sa vie et de sa création.]
Félicie de Fauveau a rencontré dans les années 1820 Félicie de Duras qui accompagnait son père, en charge des commandes officielles de la Cour, dans son atelier. Issue d'une illustre famille, elle a été mariée à quatorze ans au prince de Talmont. Veuve à dix-sept ans, elle s'est remariée en 1819 -contre l'avis de sa mère- avec Auguste du Vergier, comte de La Rochejaquelein, vendéen et royaliste. Dans le château de son mari elle monte à cheval, chasse, manie l'épée. Elles vont devenir amies. [Au moment où elles se rencontrent, l'une et l'autre communient passionnément à la "folie mystique" d'une monarchie idéale, celle de l'alliance restaurée du trône et de l'autel où régnerait un roi chevalier, élu et thaumaturge, une sorte de réapparition de Saint-Louis, vingt-cinq ans après la Révolution, en dépit du code civil, des constitutions, des chambres et de l'égalité. Une pure monarchie pour laquelle on doit savoir se battre et mourir.]
Le père du premier époux de Félicie de La Rochejaquelein était général de la cavalerie vendéenne, il fut fusillé en 1794 à Laval. Les frères de son second mari ont été tués au combat, l'aîné en 1794, l'autre en 1815. [ Le souvenir de 1793, "cette grande émeute catholique", comme dit Victor Hugo, est partout. On entretient particulièrement celui des généraux blancs morts pour leur roi.] En juillet 1828 les La Rochejaquelein reçoivent la duchesse de Berry, belle-fille de Charles X, dans leur château de Landebaudière. Début 1831, Félicie de Fauveau rejoint son amie. Elles ne pensent plus qu'à la défense du duc de Bordeaux, petit-fils de Charles X, et seul roi légitime à leurs yeux. La Vendée rêve à l'insurrection de 1832. Mais tout manque, l'argent, les armes, les hommes. Et la police de Louis-Philippe surveille. Félicie de La Rochejaquelein ne ménage pas sa peine pour réveiller l'esprit de 1793, mais ["Beaucoup se souviennent des anciens malheurs de la guerre et ne veulent se mettre en avant qu'avec la certitude du succès" ] constate-t-elle en mai 1831.
Les deux Félicie vivent l'aventure vendéenne comme un roman de chevalerie, l'une sera le suzerain , l'autre le vassall, Félicie de Fauveau est donc allée combattre en Vendée. Avant de partir, elle avait confectionné pour son amie une dague de chasse qui porte le chiffre du roi Henri V, le futur roi légitime qui chassera Louis-Philippe (le jeune prince de Bordeaux était âgé de dix ans). Puis une pièce d'armure pour la duchesse de Berry qu'elle portera lorsqu'elle prendra la tête des armées vendéennes. L'imaginaire de l'artiste mêle le religieux et le guerrier, la chrétienté, la chevalerie et la Vendée contemporaine. Seule survivra son oeuvre.
Le château de Landebaudière est aussi rempli de jeunes conspirateurs, héritiers des héros de 1793, partageant la même conviction, la même foi et la même exaltation. Parmi eux Charles de Bonnechose dont Félicie de Fauveau fut peut-être amoureuse. Il sera tué en janvier 1832.
En novembre 1831, l'étau se resserre autour du château. Le préfet fait intervenir la police et les gendarmes. Les deux amies se réfugient dans la nuit du 8 au 9 dans une ferme voisine. Les soldats qui cherchaient les armes trouveront les jeunes femmes cachées dans un four à pain. Félicie de Fauveau est emprisonnée à La Roche-sur-Yon puis à Fontenay-le-Comte. Félicie se vit comme une martyre. Sa mère venue lui rendre visite est emprisonnée avec elle. Son procès devait avoir lieu en février 1832, mais elles seront libérées en janvier.
On retrouve Félicie en mai, elle a rejoint son amie -qui avait réussi à s'enfuir, mais qui est toujours sous le coup d'un mandat d'arrêt depuis novembre. La duchesse de Berry est aussi présente. Du 3 au 7 juin quelques combats opposent cinq cents conspirateurs et une centaine de soldats aux cris de "Vive Henri V" faisant une dizaine de morts. Selon les témoignages les deux amies participaient aux combats. Elles réussissent à s'enfuir tandis que la duchesse est découverte à Nantes. Jugées par contumace début 1833, elles sont condamnées à la déportation. Auguste de La Rochejaquelein à la peine de mort. Après l'acquittement de son mari en 1835, Félicie de La Rochejaquelein se rendra à la justice. Elle sera libérée peu de temps après. Félicie de Fauveau refusant de se constituer prisonnière, préfère l'exil. Elle ne sera amnistiée que plusieurs années plus tard. Installée à Florence elle ne reviendra pas en France. Elle meurt en 1886.
Félicie de Fauveau fut donc une femme libre, seule, célibataire, exerçant un métier réservé aux hommes, gagnant sa vie en travaillant, ce qui était difficilement acceptable à son époque. Une femme qui risqua sa vie pour des idées et des rêves, l'amour d'un passé idéalisé qui nourrit son oeuvre.
[Avec elle la réaction et la modernité se répondent. Le passé du côté de ses combats politiques, la" vie devant soi" dans les formes nouvelles de son esthétique et de sa mystique.]
[Le romantisme de Félicie n'est pas seulement romanesque. L'exaltation et l'extravagance ne le résument pas. Il réside autant dans le rêve d'une bataille perdue d'avance pour Dieu et le roi que dans l'honneur d'être restée conséquente avec elle-même, du bocage vendéen à l'exil florentin, dans la persévérance et la fidélité à des idéaux, particulièrement lorsque ceux-ci, brisés, gisent à terre.] écrit E de Waresquiel.