"Lumières allumées" Bella Chagall
Bella Rosenfeld est née en 1895 à Vitebsk, dans le nord-est de la Biélorussie. Dans les années 30 et 40, elle écrit "Lumières allumées", "Première rencontre" et "Mes cahiers" en yiddish. Après sa mort prématurée à New York en 1944, sa fille traduit en français ses écrits qui seront publiés en 1973.
Bella a quatorze ans lorsqu'elle fait la connaissance de Chagall chez son amie d'école Théa. Elle l'évoque dans "Première rencontre": "La porte, sans bruit, s'ouvre. Mon dos brûle. Je suis clouée sur place. Je crains de me retourner. Une flamme semble me poursuivre. Je la vois glisser le long des murs. Un visage de garçon se dessine. Un visage aussi blanc que le mur."
Chagall, lui aussi originaire de Vitebsk, vit dans une famille modeste et très pieuse. Sa mère a eu neuf enfants, elle mourra d'épuisement à quarante-cinq ans. A dix ans, Chagall souhaite devenir chanteur. Il accompagne souvent son oncle Nush, qui est un bon violoniste et lui raconte des histoires bibliques, dans son travail. A treize ans, il change de vocation. Il se met à dessiner et peindre la vie qui l'entoure.
Il veut devenir peintre. Idée impie selon la religion juive. Mais sa mère, admiratrice, le soutient. Et son père finit par céder. Il devient l'élève de Pen en 1906, dans sa ville natale. En 1907, il part à St Pétersbourg. Il est misérable -et illégal à cette époque- mais découvre l'art occidental. Il survit grâce à l'aide de quelques mécènes, dont Bakst, célèbre décorateur des ballets de Diaghilev, qui l'accepte dans son école. En 1909, il rencontre Bella. Il n'oubliera pas cette jolie jeune fille- "son teint pâle, ses yeux comme ils sont grands, ronds et noirs! Ce sont mes yeux, mon âme."- mais grâce à une bourse, il peut s'installer à Paris. En 1911 et 12, il vit à "La ruche" parmi d'autres artistes.
En 1914 il revient en Russie et épouse Bella en 1915. Soutenant la révolution, il est nommé Commissaire aux Beaux-Arts à Vitebsk et fonde une Académie. Ils quitteront leur pays en 1922 pour s'installer en France. Chagall est devenu un peintre célèbre qui expose dans de nombreux pays. En 1940, ils se réfugient à Gordes avec leur fille et leur gendre et en 1941 fuient le régime nazi - qui dès 1933 brûlait les tableaux de Chagall - en acceptant l'invitation du Museum of Modern Art de New York.
Mais le 2 septembre 1944, Bella meurt soudainement, emportée par une infection généralisée. Chagall aimait à raconter la fin de celle qui avait été, sa compagne, son inspiratrice et son ange-gardien "Quelques jours plutôt, elle avait appris que Paris venait d'être libéré: "Rentrons vite, faisons les valises. Je n'achète plus rien." dit-elle".
Dans "Lumières allumées", Bella se souvient de son enfance. Elle décrit d'une manière fantaisiste et poétique, sa vie de petite fille heureuse, benjamine d'une famille nombreuse, religieuse et plutôt aisée - ses parents faisaient le commerce de bijoux, or, pierres précieuses et perles rangés dans les coffres. Sa mère, maîtresse-femme, occupée à longueur de journée dans la boutique. Les fêtes juives qui égrainaient l'année, les prières, les mélodies du rabbin, les douceurs préparées par Chaya la cuisinière, les bonnes odeurs qui s'élevaient dans la boutique du pâtissier quant on préparait Pâque, l'arrivée de la neige et les promenades en calèche, les patins enfin obtenus après plusieurs demandes et les joies du patinage, les vacances d'été, les disputes des frères.
La première rencontre avec "l'artiste", comme le nommaient les habitants de Vitebsk et ses premiers émois. Le premier tableau, peint dans le petit atelier près du fleuve, loué au gendarme, qui sera intitulé "L'Anniversaire". Bella et Chagall dans un monde qui n'existait déjà plus lorsque Bella commence à écrire pour transmettre à sa fille Ida, sa part d'héritage.
("Montparnasse vivant" J.P. Crespelle - "Chagall" R.Cogniat)
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