"Pauvre chose" WATAYA Risa
Julie a la hantise des tremblements de terre. Elle se souvient de Kôbe détruite en 1995, ses parents, sa soeur et elle habitaient à Osaka mais ils avaient de la famille à qui ils avaient rendu visite. Dès que le sol bouge- et à Tôkyô il vacille souvent- elle se fait des scénarios catastrophe, que se passerait-il avec tous ces immenses immeubles et le sous-sol percé comme un gruyère par les lignes du métro? Elle a la réputation auprès de ses collègues -elle travaille dans un grand magasin, rayon vêtements de grand luxe- d'être une fille forte, sur qui on peut compter. Alors elle imagine des scènes où, grâce à la lumière de son portable, sa bouteille d'eau et son bonbon au citron, elle survivrait et, digne de leur confiance, sauverait les autres vendeuses. Ryûdai comprendrait immédiatement qu'elle a besoin de lui et volerait à son secours.
Mais Julie n'est plus sûre que Ryûdai viendrait. Pas par lâcheté, "il est fait de l'étoffe de ces héros qui trouvent précisément leur plein emploi en cas de tremblement de terre. C'est juste que, le jour du grand tremblement de terre, ce ne sera peut-être pas moi qu'il ira sauver, mais plutôt Akiyo."
Ryûdai et et sa petite amie Akiyo sont rentrés des Etats-Unis. Mais maintenant, la petite amie de Ryûdai c'est Julie. Il a eu du mal à s'accoutumer à la vie au Japon et à trouver du travail, mais il s'est enfin installé. Akiyo a plus de difficultés, pas de travail et pas d'argent pour un loyer à Tôkyô. Ryûdai lui a proposé de partager son appartement. Au grand étonnement de Julie. Elle n'a pas le choix, si elle n'accepte pas cette situation, il menace de la quitter. Elle s'efforce de ne pas souffrir, de ne pas être jalouse. C'est difficile car elle voit de moins en moins Ryûdai et il lui interdit de venir à son appartement.
Elle décide d'y aller un dimanche après-midi. Akiyo est seule. L'appartement est rangé, elle occupe la chambre de Ryûdai et le canapé est ouvert pour lui. Julie est venue lui dire de partir au plus vite, mais elle n'ose plus lui parler si sévèrement, Akiyo a l'air si désemparée. Julie se sent honteuse, elle qui a un travail qui lui plait, un logement, de beaux vêtements, comment dire à cette pauvre fille "vas-t-en".
Julie essaie de se raisonner. Cette co-habitation semble étrange au Japon mais elle est habituelle aux Etats-Unis. Elle ne se souvient pas avoir vu des invités loger chez ses parents, peut-être une fois ou deux dans toute leur vie, et si c'est nécessaire, les invités restent très discrets. Mais chaque pays a ses coutumes. Et ses religions. Si Ryûdai est chrétien, il a le devoir d'aider Akiyo.
Akiyo n'est peut-être pas si faible qu'elle en a l'air, elle n'a peut-être pas accepté de perdre Ryûdai, Julie n'est peut-être pas une menace pour elle.
Julie va faire en sorte de savoir la vérité.
"Je me préférais de loin telle que j'étais maintenant, plutôt que cette pimbêche qui se forçait à dire: la pauvre, je vais l'aider. Et maintenant, je comprenais pourquoi les gens n'aiment pas ce mot. Décidément, cette compassion qui demande d'avoir pitié de quelqu'un avant de bouger, quelque part elle est moche. On a tous besoin d'une affection plus profonde que cela de la part d'autrui, et nous croyons en la possibilité de donner une affection plus profonde."
Elle sait désormais que Ryûdai ne viendra pas la sauver du tremblement de terre. Cela pique les yeux, mais le doute était plus lourd à porter que la solitude.