"Mon autre famille" Armistead Maupin
Dans son autobiographie Armistead Maupin décrit son enfance à Raleigh en Caroline du Nord, auprès d'un père ultraconservateur -durant son adolescence, il refoulait sa personnalité tant il voulait plaire à son père et respecter dans les convenances de cette société du sud. Il rend hommage à ses grands mères. Parle de son engagement dans l'armée et de son activité au Vietnam. Puis de son séjour à Charleston où, après avoir arrêté ses études de droit, il était reporter dans un journal local.
En 1971 il part à San Francisco car il a obtenu un poste au bureau de l'Associated Press. Ce travail ne lui plait pas, il quitte l'AP rapidement. Et connait une période difficile.
Mais c'est à San Francisco qu'il va trouver "sa famille logique". Et la recréer dans la fiction de ses "Chroniques de San Francisco"- parues en épisodes dans le journal "Chronicle" à partir de 1976- dans une vieille maison recouverte de lierre au 28 Barbary Lane (pas tout à fait une rue, plutôt un sentier pietonnier avec des marches en bois), autour de la propriétaire Anna Madrigal, une transsexuelle d'une cinquantaine d'années. Elle loge Mary Ann Singleton qui arrive de Cleveland et cherche un emploi de secrétaire, Brian Hawkins ancien avocat qui collectionne les aventures féminines d'un soir dans les laveries, Mona Ramsey une hippie anciennement lesbienne, rédactrice dans une agence de pub et Michael Talliver qui drague dans tous les endroits gays de la ville. Tous dans la tranche d'âge d'Armistead et portant des noms venant de sa famille.
Le succès n'est pas immédiat et son directeur affiche un tableau avec d'une part les personnages hétéro et de l'autre les personnages homo. La balance penche plutôt d'un côté! Mais le tableau va vite disparaître car les lecteurs du journal sont de plus en plus passionnés par les chroniques.
A travers ses personnages, Armistead Maupin se découvre et s'accepte en se déclarant publiquement homosexuel. On retrouve dans ses romans des évènements qui se sont produits dans sa vie personnelle. Sa rencontre avec Rock Hudson (qui n'est pas nommé dans son livre), la croisade d'une ancienne dauphine de Miss América, représentante d'un jus d'orange en Floride, contre un arrêté visant à protéger les homosexuels contre toute discrimination en Floride du sud en créant le mouvement "Sauvons nos enfants". La mère d'Armistead n'avait pas signé cette pétition, mais sous la pression de son époux, elle faisait partie de l'aile la plus conservatrice du parti républicain qui considérait - et considère encore aujourd'hui- la communauté LGBT comme un fléau.
En 1977 "Newsweek" présenta Maupin comme "chroniqueur homosexuel" dans un article consacré à cette croisade et parallèlement au renouveau du militantisme gay. L'écrivain nous dit:
"Depuis le moment où j'avais lu l'article sur le téléscripteur, je me demandais comment y répondre dans les "Chroniques de San Francisco". Par un hasard insolite, j'avais fait de Michael Tolliver le fils de cultivateurs d'oranges à Orlando.[...] Il était complètement plausible que Michael, qui n'avait pas encore parlé de son homosexualité à sa famille, reçoive d'Orlando une lettre de sa mère, chrétienne pratiquante, lui annonçant avec fierté qu'elle venait de rejoindre les rangs de "Sauvons nos enfants".[...] Au "Chronicle" assis à mon bureau, j'écrivis la réponse de Michael à cette lettre en quarante-cinq minutes." C'est à sa propre mère qu'Armistead pensait.
L'épisode devait paraître dans l'édition du lundi du journal. Le samedi soir était organisé un gala de bienfaisance en faveur des gays de Miami. L'auteur fut invité à lire la lettre de Michael- Armistead. Lettre restée célèbre, lue de nombreuses fois et mise trois fois en musique.
Puis viendront les années épouvantables de l'épidémie du sida. Comme au temps de la peste en Europe, les bienpensants diront "c'est une punition de Dieu".
Sa mère était décédée depuis plusieurs années, mais Armistead a pu rendre visite à son père à la fin de sa vie et lui présenter son compagnon qu'il épousera en 2008.