"Histoire de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis" J. AD. AUBENAS (A. Allouard libraire) 1842
Contrairement à son père qui avait laissé les arts sans protection et sans direction -facilitant ainsi l'essor de l'hôtel de Rambouillet- le jeune Louis XIV voulut devenir le mécène des lettres.
"Dès l'abord aussi, il les attire près de lui, les fixe par ses bienfaits, les domine par son ascendant; en les disciplinant, il en fait une des institutions de sa monarchie et, après se les être assurées, il les dirige contre ses ennemis et contre la littérature hostile à Louis XIII, à Mazarin, à sa mère et à la cour, de là le ridicule déversé sur elle par Molière et par Boileau, ses deux éxécuteurs littéraires. [...] De 1660 à 1670 les réunions particulières devinrent, comme la littérature, plus sérieuses, plus graves, plus naturelles et plus vraies. Elles sont moins nombreuses aussi, et par conséquent moins puissantes. Le Roi n'aurait pas souffert que de grands centres intellectuels, que des foyers d'influence se continuassent en face de lui et lui disputassent une prééminence et un patronage dont il était si jaloux. On cite cependant, à cette époque, les hôtels de Richelieu et d'Albret, pâle imitation de l'hôtel de Rambouillet, où se réunissaient aussi des gens de lettres et des grands seigneurs, et que fréquentait Mme de Sévigné. [...] Mais les grandes réunions littéraires se tenaient maintenant aux Tuileries ou à Versailles. Les rôles ont changé. Il y a aussi changement dans les mots comme dans les choses. On ne dit plus le bel-esprit, les beaux esprits; on ne sait ce que c'est: on dit le bel air; celà signifie la mode, le ton spirituel, galant et plein de goût de la cour. Car maintenant il y a une cour véritable qui donne le ton, qui fronde les ridicules, qui juge les lettres et les arts, et au service de laquelle sont les écrivains véritables et les meilleurs: Molière, Racine, Boileau, La Fontaine, Quinault. Voilà ce que c'est le bel air, qui se moque du bel-esprit après avoir pris sa place."
On sait peu de choses sur la vie de Mme de Sévigné entre 1661 et 1669, c'est à dire entre la chute de Fouquet et le mariage de sa fille qui fut présentée à la cour en 1663.
Durant ces années, elle vécut soit à Paris, dans le Marais, soit chez son oncle dans l'abbaye de Livry, quelque fois en Bourgogne ou chez des amis et de plus en plus en Bretagne dans le domaine des Rochers. Elle a suivi les chefs-d'oeuvre de Corneille, vu les pièces de Molière, lu les satires de Boileau, a été captivée par La Fontaine. Mais surtout elle a lu et relu "Les lettres provinciales " de Pascal qu'elle admirait.
"1661 nous l'a léguée avec un esprit charmant, mais entaché de quelques défauts de jeunesse; le coeur se devine, mais on le voit peu: le mariage de sa fille nous la révèle dans toute la sincérité et la plénitude de ses sentiments. Son esprit ensuite, son langage, sans perdre de leur verve et cette pétulance dont tout à l'heure on relevait les écarts, ont revêtu plus de gêne, plus de gravité, et partant plus de grâce avec plus de retenue."
Melle de Sévigné (1646- 1703) avait la réputation d'être belle et réservée. Mais elle tardait à se marier et Mme de Sévigné s'en inquiétait. Elle était riche mais n'était pas un bon parti pour les jeunes ambitieux: pas d'hommes puissants dans la famille, pas de père dont le crédit aurait pu les faire valoir, quant aux amis de la marquise, Fouquet, le cardinal de Retz, Mr de Pomponne, son cousin Bussy,ils étaient soit éloignés soit en disgrâce.
En 1668, Mr de Grignan fit sa demande en mariage. François de Castellane-Adhémar-d'Ornano, comte de Grignan, était l'aîné d'une des plus grandes familles de Provence, donc destiné aux dignités militaires et politiques. Vivant à la cour, il était apprécié pour son esprit sérieux et ses mérites militaires. Introduit dans le premier cercle aristocratique et littéraire, il fréquentait l'hôtel de Rambouillet où il rencontra Claire d'Agennes, la fille de Mme de Rambouillet. Mais après six ans de mariage, elle décéda lui laissant deux filles, les demoiselles d'Alérac. Sa deuxième épouse, ainsi que leur fils, moururent peu de temps après leur mariage.
Mme de Sévigné pensait qu'il serait un bon parti pour sa fille. Il avait quarante ans, mais elle y voyait une garantie de maturité et de sérieux. Et Françoise de Sévigné semble avoir été séduite par les manières de son prétendant, malgré leur différence d'âge. "Le mariage eut donc lieu à Paris le 29 janvier 1669. [...] Enthousiaste de sa fille, elle jouissait d'avance des succès que devaient lui procurer, dans son nouvel état, ses charmes alors dans tout le développement de l'âge et son esprit qui avait atteint le plus haut degré de culture."
En 1670, Mr de Grignan fut nommé Lieutenant-général de la Provence, poste important qu'il accepta. " Mr de Grignan partit dans le courant du mois de mai pour son gouvernement et y fut accueilli avec toute la haute considération que la Provence était habituée à professer pour sa famille. [...] Mr de Grignan semait partout, en Provence, l'éloge de Mme de Sévigné et affichait une grande tendresse pour elle. Mais cette affection n'empêchait pas qu'il insistât pour lui procurer le plus grand chagrin qu'elle pût redouter: chaque jour, il lui redemandait sa femme qu'il était impatient de présenter à sa famille et à sa province."
Le 5 février 1671, les deux femmes qui depuis vingt ans ne s'étaient pas séparées un seul jour, durent se quitter.
"Ma douleur serait bien médiocre si je pouvois vous la dépeindre; je ne l'entreprendrai pas aussi; j'ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu'elle fait l'éloignent de moi. [...] toutes mes pensées me faisoient mourir."
Ses amis, Mme de La Fayette, Mr de Coulanges essaient de la consoler. En vain. Mme de Grignan était elle-même très affligée. "Pendant toute la route elle écrit à sa mère, et celle-ci s'arrange de manière à lui faire trouver de ses lettres à chaque station, cherchant ainsi mutuellement à passer, par degrés, de la présence à l'absence. [...] A chaque lettre de sa fille, ce sont, pour Mme de Sévigné de nouveaux sanglots. Il lui semble que chaque pas lui arrache le coeur. Une carte sous les yeux, elle suit tous les progrès de sa route, marque tous les lieux où elle doit s'arrêter, s'inquiète pour l'état des chemins et surtout pour ce diable de Rhône qui va l'entraîner loin d'elle."
Lettre du 11 février 1671:
"Vous m'aimez ma chère enfant, écrit sa mère, et vous me dites d'une manière que je ne puis soutenir sans des pleurs en abondance...Vos lettres sont si tendres, si naturelles, qu'il est impossible de ne pas les croire. Vos paroles sont vraies et le paroissent; elles ont une force à quoi l'on ne peut résister."
A la fin de février, Mme de Grignan arriva à Arles.
Commentaires