"Histoire de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis" J. AD. AUBENAS (A. Allouard libraire) 1842
1- La mort de Madame
Ce drame n'avait pas touché directement Mme de Sévigné, mais au travers de son amie Mme de La Fayette. Celle-ci, après son mariage, rendait visite à la soeur de son époux, devenue supérieure du couvent des Filles de Sainte-Marie de Chaillot, et avait su plaire à la jeune Henriette d'Angleterre (1644-1670) qui y recevait son éducation. Jusqu'alors la jeune fille avait vécu une triste vie. Au moment des troubles dans le royaume anglais, sa mère, Henriette Marie de France, petite-fille d'Henri IV et nièce de Louis XIII, s'était réfugiée à Paris, laissant sa fille avec sa nourrice. Mais lorsque son père, le roi Charles Ier, fut décapité sous l'ordre de Cromwell, la nourrice craignant pour la vie de la fillette, s'enfuit en France. Anne d'Autriche, en ces temps agités, n'avait que faire de ces exilées qui vivaient au Louvre assez misérablement.
Contrairement à toute attente, en 1660, le frère aîné d'Henriette réussit à reconquérir le trône sous le nom de Charles II. Agée de seize ans, elle devenait digne d'intérêt pour la Régente. En 1661, sur la décision du jeune Louis XIV, elle épousa le frère du roi, Monsieur. Louis XIV découvrit en la personne de sa cousine et belle-soeur, une ravissante jeune fille dont il tomba, dit-on, amoureux. Elle demanda alors à Mme de La Fayette de l'accompagner à la cour.
Ce mariage avait deux raisons: Philippe d'Orléans était homosexuel et ce lien scellait l'entente entre la France et l'Angleterre. Appréciée par Louis XIV et proche de son frère Charles II, elle contribua au traité de Douvres (1670).
Mais, brutalement, deux semaines après son retour, elle mourut dans les bras de Mme de La Fayette, après une agonie de quelques heures. On parla d'empoisonnement par le chevalier de Lorraine, amant de son époux.
Dans son ouvrage "Histoire d'Henriette d'Angleterre" Mme de La Fayette affirmait qu'elle s'était déjà plainte de douleurs durant quelques jours. Peut-être était-ce une occlusion intestinale que les médecins de l'époque ne pouvaient déceler.
Mme de La Fayette fut très touchée par cette mort mystérieuse de Madame, ce qui peut expliquer sa tristesse permanente dans les années qui suivirent.
Henriette d'Angleterre eut cinq enfants dont deux survécurent: Marie-Louise deviendra reine d'Espagne en épousant Charles II de Hasbourg et Anne Marie (1669-1728) reine de Sardaigne dont la fille en épousant le petit-fils de Louis XIV, Louis de Bourgogne, sera la mère de Louis XV.
2- La guerre contre la Hollande déclarée le 6 avril 1672
"Un évènement important vint montrer toute le sûreté et l'abondance de ses informations. [...] C'est dans les lettres de Mme de Sévigné que l'on voit bien ce que c'était la guerre pour les courtisans et la noblesse d'alors." Lorsque Mme de Sévigné n'a pas été un témoin direct d'un évènement, elle cite une autorité qui inspire une entière confiance dans ses écrits.
"On ne parle plus que de guerre et de partir." (lettre du 17 avril 1672)
"On passe sa vie à dire des adieux; tout le monde s'en va, tout le monde est ému ou tremble pour ses amis." (lettre du 20 avril 1672)
"On est au désespoir, parce qu'on n'a pas un sou; on ne trouve rien à emprunter; les fermiers ne payent pas; on n'ose faire de la fausse monnoie; on ne voudrait pas se donner au diable, et cependant tout le monde s'en va à l'armée avec un équipage: de vous dire comment cela se fait, il n'est pas aisé; le miracle de cinq pains n'est pas plus incompréhensible." (lettre du 24 avril 1672)
Son fils lui-aussi est parti à la guerre sous le titre de "guidon de la compagnie des gendarmes-dauphin", sous le commandement de son cousin, avec le bel équipage que sa mère lui a donné.
Il faut désormais passer l'Issel "défendu et bordé de deux cents pièces de canon, de soixante mille hommes de pied, de trois grosses villes et d'une large rivière qui est encore devant." (lettre du 27 avril 1672)
"Voilà la mode des blessés qui commence." (lettre du 30 mai 1672)
Mr de La Rochefoucault perdit son fils et son petit-fils.
Le Rhin fut traversé et la Hollande demanda l'armistice.
3- La mort de Turenne (27 juillet 1675)
"C'est à vous que je m'adresse, mon cher comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes qui pût arriver à la France; c'est la mort de Mr de Turenne, dont je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Le Roi en a été affligé comme on doit l'être de la mort du plus grand capitaine et du plus honnête homme du monde; [...] C'est après trois mois d'une conduite toute miraculeuse et que les gens du métier ne se lassent point d'admirer, qu'arrive le dernier jour de sa gloire et de sa vie. Il avait le plaisir de voir décamper l'armée des ennemis devant lui; il va sur une petite colline pour observer leur marche avec huit ou dix personnes; on tire de loin, à l'aventure, un malheureux coup de canon qui le coupe par le milieu du corps, et vous pouvez penser les cris et les pleurs de cette armée..." (lettre du 2 août 1675 à son gendre)
Le maréchal de Turenne (1611-1675) était le commandant de l'armée française avec le titre de maréchal général des camps et armées du Roi obtenu en 1660 grâce à ses nombreuses victoires. Il venait de conquérir l'Alsace après avoir gagné la bataille de Turckheim le 5 janvier, mais fut tué au cours de la bataille de Sasbach le 27 juillet qui venait d'être remportée par ses armées.
Mme de Sévigné fut tellement touchée par "cette grande mort" qu'elle écrivit à tous ses proches. Dont son cousin Bussy, qui, lui, voyait dans cette perte la possibilité d'une promotion qu'il n'obtint pas.
La mort de Turenne touchait directement Mr de Grignan, le maréchal ayant été le protecteur de son frère Adhémar. Celui-ci, colonel du régiment de Grignan, était en Allemagne et lors du drame fit preuve d'un grand sang-froid pour permettre la réorganisation de l'armée sous les ordres du neveu de Turenne.
"Je ne saurais vous dire, écrit-elle à sa fille, à quel point la perte du héros a été promptement oubliée dans cette maison [la cour]; ça a été une chose scandaleuse."
4- La révolte des Bretons
En septembre 1675, Mme de Sévigné arriva en Bretagne.
"[...] On avait augmenté les impôts, et la population s'était violemment révoltée contre Mr de Chaulnes, le gouverneur et l'ami intime de la marquise. Mme de Sévigné a été fort attaquée à ce sujet; on lui a reproché d'avoir applaudi aux exécutions qui suivirent la révolte: d'autres, plus justes pour elle, mais également hostiles à son temps, ont voulu chercher, dans ses lettres de cette époque, des preuves pour démontrer qu'alors le peuple, pour l'aristocratie, n'était qu'un vil bétail, dévoué à la servitude ou aux supplices. [...]"
"Le duc de Chaulnes a tranféré le parlement à Vannes; c'est une désolation terrible. La ruine de Rennes emporte celle de la province.[...]" (lettre du 20 octobre 1675)
Elle rendit visite à Mme de Chaulnes à Vitré et la trouva terrorisée. Ce qui la fit changer de ton.
"Cette province a grand tort, écrit-elle à sa fille, mais s'empresse-t-elle d'ajouter aussitôt, elle est rudement punie et au point de ne s'en remettre jamais. [...] (lettre du 27 octobre 1675)
Elle insistait "Les punitions et les taxes ont été cruelles; il y aurait des histoires tragiques à vous conter d'ici à demain." (lettre du 13 novembre 1675)
"Mr de Saint Malo [l'évêque] dit-elle à Mme de Grignan, qui est votre parent, et surtout une linotte mîtrée, a paru aux Etats, transporté et plein des bontés du Roi, et surtout des honnêtetés particulières qu'il a eues pour lui, sans faire nulle attention à la ruine de la province qu'il a apportée agréablement avec lui. Ce style est d'un bon goût à des gens pleins de leur côté du mauvais état de leurs affaires." (lettre du 13 novembre 1675)
Lettre du 8 décembre 1675 "Mr de St Malo, linotte mîtrée, âgé de soixante ans [...] a commencé, vous croyez que c'est les prières de quarante heures, c'est le bal à toutes les dames et un grand souper! ç'a été un grand scandale public. Mr de Rohan, honteux, a continué; et c'est ainsi que nous chantons en mourant semblables au cygne."