"Moeurs de théâtre - Le grand art- Journal d'une actrice" Alexandra David-Neel
Ce roman, écrit en 1901-1902 par Alexandra David et signé Alexandra Myrial, est resté inédit ainsi qu'un second roman écrit à la même période. Le manuscrit est conservé dans sa maison, devenue musée après sa mort, à Digne-les-Bains, ville légataire de l'oeuvre d' Alexandra David-Neel. Il est présenté par Mme Jacqueline Ursch, présidente de l'Association Alexandra David-Neel, et par le chercheur Samuel Thévoz.
C'est à cette époque qu'elle rencontre à Tunis l'ingénieur Philippe Neel, qu'elle épouse en 1904 au consulat de France.
Ecrivain, journaliste, "femme de lettres" comme elle se définit, ellle n'est pas encore la célèbre exploratrice intrépide -c'est en 1924 qu'elle pénètrera dans Lhassa, alors interdite aux étrangers.
Elle se rend à Paris, en 1903 puis en 1904, à la recherche d'un éditeur, en vain, elle abandonne donc le projet de publication.
A la fin du XIXème siècle, sa vie était très différente. Alexandra David (1868-1969) obtient en 1889 " le premier prix de chant théâtral français" au conservatoire de Bruxelles. Elle décide de devenir cantatrice, d'abord dans des concerts, des bals ou des soirées musicales en Belgique et en France. Elle fait ses réels débuts en 1894-1895 au Théâtre royal d'Anvers, puis elle est engagée pour la saison d'opéra-comique de 1895-1896 à Hanoï et Haiphong comme première chanteuse légère, où elle est acclamée dans Faust, Lakmé, Manon, Carmen et Mireille. Pour la saison d'hiver 1896-1897, elle est engagée au Théâtre municipal de Besançon. Son compagnon est le pianiste Jean Hautstont. Entre deux tournées, elle vit à Paris et étudie à la Sorbonne et au Collège de France en auditeur libre.
Elle commence sa carrière de journaliste lors d'un séjour en Inde, elle écrit des articles pour le quotidien féministe "La Fronde" et l'hebdomadaire "L'Etoile socialiste".
En 1899, elle rompt avec Jean Hautstonts et part seule en Grèce. En 1900, elle est à l'opéra de Tunis. Où elle fait la connaissance de son futur mari.
Elle décide alors de cesser de chanter et de se consacrer à l'écriture.
La jeune femme qui écrit son journal, on apprendra qu'elle s'appelle Cécile, a décidé à douze ans de devenir actrice.
" Brusquement, un soir, à la suite d'une représentation de Faust où j'avais vu Rose Caron, l'idée me vint de devenir actrice!...Le théâtre!...Je voyais là le moyen de réaliser mes rêves, de vivre en des heures de fièvre les poèmes dont je me berçais et que, déjà, je savais n'être pas du domaine de la vie réelle."
Après trois ans d'étude, elle obtient le premier prix du conservatoire. Elle rêve de théâtres prestigieux, de grandes oeuvres, de succès, mais elle va vite perdre ses illusions. N'ayant pas de riche protecteur, donc sans nom et sans fortune, elle vit la vie misérable des artistes allant d'engagement en engagement dans de tristes théâtres de province, souvent au chômage, toujours mal payés, parfois pas payés du tout lorsque le directeur s'enfuit avec la caisse. Ce qui vient d'arriver à Besançon. Ou comme en Grèce, le théâtre d'Athènes ayant fermé après un mois de représentation, sans se soucier du devenir de la troupe.
Désespérée, Cécile avait pensé se suicider, mais elle était jeune, encore pleine d'espoir, alors elle avait fait comme ses camarades, elle avait rejoint un admirateur à Patras.
"Puisqu'il fallait céder, mieux valait avoir l'air de le faire de bonne grâce...Cela semble moins triste, moins misérable...[...] Dieu! Si les hommes pouvaient comprendre ce que cache parfois notre triste gaieté!...Si l'on n'arrivait pas, dans un effort de tout son être, à mâter ses nerfs, à étouffer la révolte de son esprit, si l'on ne pouvait imposer à son visage un douloureux rictus simulant le plaisir, l'insouciance: alors, le désespoir, la fureur, la rage éclatant, on pleurerait...ou on tuerait peut-être..."
A Besançon, elle est recueillie par un maquignon qui l'emmène chez lui.
"Il tombe depuis trois jours, une pluie fine, glacée, désespérante en sa tranquille monotonie." Ainsi commence le roman.
"Mon coeur se serre d'une indicible angoisse: à bout d'énergie, lasse de trop de luttes, je me sens emmurée, vivante, en ce tombeau, trop faible, désormais, pour qu'une pensée de révolte puisse encore me faire lever de l'ombre en laquelle ma pauvre vie s'efface..."
C'est à l'aide d'un valet qui lui donnera un peu d'argent et l'emmènera à Paris qu'elle pourra s'enfuir perdant encore un peu plus de dignité. A Paris où elle trouvera le riche protecteur qui lui ouvrira toutes les portes.
"Mystique et grave je m'avançais vers lui, vers la chimère conquise qui me tendait les bras. L'Art sublime inaccessible au pauvre, l'Art très Grand qui demande des robes prestigieuses pour en vêtir ses rêves et des palanquins d'or pour les porter très haut par des allées de jaspe, loin des gestes vulgaires, des luttes misérables, des inesthétiques larmes.
FIN"
Sans être autobiographique, ce roman témoignait de la condition de vie des actrices à la Belle Epoque, Alexandra David-Neel utilisant ses propres expériences. Roman féministe, il fait partie de l'histoire du combat des femmes pour se réapproprier leurs corps et leurs vies. Roman social, il montre les pauvres se courbant devant la richesse et le cynisme triomphants, l'Art, avec une majuscule comme l'écrit la romancière, méprisant "les inesthétiques larmes". Quelle lucidité.
"Voyage d'une Parisienne à Lhassa"
Edité en 1927 chez Plon. Exemplaire: édition de poche de 1954.
Dans l'introduction, Alexandra David-Neel explique la genèse de ce voyage de huit mois.
Elle connaissait déjà l'Inde. En 1910, elle y retourne pour une mission du Ministère de L'Instruction publique. L'année suivante, elle est à Madras lorsqu'elle apprend que le souverain du Thibet, le Dalaï-lama, qui avait fui son pays en révolte contre la Chine, séjourne dans l'Himalaya. Au Collège de France ayant suivi des cours sur la culture thibétaine, elle souhaite obtenir une audience. Lors de l'entretien avec le roi et sa cour d'ecclésiastiques, le désir de visiter le Thibet devient intense. Elle s'en approche en juin 1912. Entre temps, elle étudie, recherche des ouvrages inédits, s'entretient avec des lamas lettrés.
"Ce serait une erreur de croire que le Thibet a toujours été la terre interdite qu'il est devenu de nos jours. Où il est impossible de s'avancer dans des pays que les voyagaeurs pouvaient parcourir à leur gré il y a peu d'années et où, à une époque plus ancienne, des missionnaires s'étaient même établis."
La partie contrôlée par la Chine était ouverte aux étrangers.
Quelques années plus tard, elle est reçue à Jigatzé (ville au sud-ouest du Thibet) par le Tachi-lama qui l'encourage à poursuivre ses recherches. Ensuite, elle séjourne dans la province Kham (partie orientale du Thibet), à Kantzé, et souhaite se rendre à Bhatang, ville importante au sud de Kantzé, sous contrôle chinois. Mais le territoire entre ces deux villes étant redevenu thibétain, elle ne peut le franchir sans l'autorisation du consul anglais de Tatchienlou (centre commercial important à l'extémité orientale de la région Kham) "nouveau saint Pierre qui détenait les clefs du Pays des Neiges". Mais les gardes ne peuvent l'empêcher d'aller vers le nord à Jakyendo restée chinoise. Elle décide de monter une expédition jusqu'à la rivière Salouen (à l'ouest de la région Kham, elle coule vers la Birmanie). A la fin de l'hiver, elle part avec un domestique et son fils adoptif, le lama Yongden, doit la suivre à quelques jours de marche, avec sept mules chargées de matériel photographique, de papier pour herbier et de quelques instruments qui éveillent l'attention du fonctionnaire et lui font comprendre que l'exploratrice est partie vers le Thibet interdit. Il arrête la caravane, fait rechercher Alexandra David-Neel et la reconduit au poste-frontière.
Tous ces échecs renforcent sa détermination à visiter le Thibet et à aller jusqu'à Lhassa.
"Le désir de venger mon propre insuccès n'était pourtant pas uniquement ce à quoi je visais. Je souhaitais, bien davantage, attirer l'attention sur le phénomène, singulier à notre époque, de territoires devenant interdits."