"Le tatouage" Junichorô TANIZAKI
" Au théatre comme dans les romans, tous les êtres beaux détenaient la force et tous les êtres laids étaient faibles. Tous s'efforçaient de paraître les plus beaux possible, et on poussait cet idéal jusqu'à aller se faire incruster des couleurs dans le corps, bien que celui-ci soit un don du Ciel."
A Edo, le tatoueur le plus célèbre est Seîkichi, ancien peintre d'estampes. "Obtenir de se faire tatouer par SeÏkichi était impossible si on ne possédait pas une peau et un corps ayant le pouvoir de captiver son coeur." Il faut supporter la douleur sans broncher car Seïkichi aime faire mal et se moque des faibles.
"Son voeu le plus cher, depuis des années, était de trouver une belle femme à la chair resplendissante, telle qu'il puisse y inscrire sa propre âme.[...] C'était un soir d'été. En passant devant le restaurant Hiraseï à Hukagawa, il remarqua fortuitement un pied de femme nu et très blanc. Le pied dépassait du store en bambou d'un palanquin, stationné juste devant la porte. Pour son regard pénétrant, le pied des êtres humains possédaient la même complexité d'expression qu'un visage." Seïkichi essaie de suivre le palanquin mais le perd de vue dans la ville. Il devient obsédé par cette femme inconnue.
Cinq ans plus tard, une jeune fille se présente chez lui, envoyée par une geisha qu'il fréquente. "Celle-ci semblait entrer dans sa seixième ou dix-septième année. Curieusement, malgré son jeune âge, son visage avait des traits d'une régularité étonnante, telle une toshima [geisha âgée d'environ 25 ans] qui aurait joué avec la vie d'une dizaine d'hommes pendant des années dans le quartier des plaisirs." Il l'observe et comprend qu'il a devant lui la jeune femme tant attendue. Il devine le potentiel de séduction de l'apprentie-geisha. Il doit faire en sorte qu'elle se révèle sa nature profonde et qu'elle devienne la plus belle femme du Japon. Il l'a conduit dans la maison et lui montre deux rouleaux où est peinte la reine Bakki, favorite de roi Chu. "Alors que la fille regardait ainsi le tableau, ses yeux se mirent à étinceler et ses lèvres tremblèrent. Son visage ressemblait de plus en plus à celui de la reine. Son véritable moi, profondément enfoui, se révéla à elle." Effrayée, elle veut fuir, mais Seïkichi la retient "Ceci représente ton avenir. Ces hommes étendus à terre sont ceux-là mêmes qui sacrifieront leur vie pour toi.[...] Attends encore un peu... Je vais te métamorphoser en une somptueuse beauté..."
Il endort la jeune fille et se met à la tatouer, pendant des heures. "L'âme du jeune tatoueur se mêlait à l'encre de Chine et se fondait dans la peau de celle-ci.[...] Les traces laissées par les aiguilles dessinaient peu à peu une énorme tarentule. La nuit de nouveau pâlissait, et cet étrange et monstrueux animal étreignait alors de ses huit membres allongés tout le torse de la femme [ le tarentule est associée à la prostituée, elle est censée attirer les hommes pour sucer leur sang]. [...] Ce tatouage résumait bien toute sa vie. Le travail achevé, il sentait un vide immense dans son coeur."
A son réveil, Seïkichi lui fait prendre un bain chaud. Elle reste étendue sur le sol, pleurant de douleur. Elle chasse Seïkichi, ne voulant pas être vue ainsi. "Son comportement différait totalement de celui de la veille, et Seïkichi en fut vivement surpris. Alors qu'il attendait seul à l'étage, elle monta, au bout d'une heure, les cheveux lavés et lissés retombant souplement sur ses épaules, sa tenue ajustée. Son regard limpide ne portait aucune trace de souffrance; accoudée à la rampe de l'escalier, elle contempla le vaste ciel embrumé du printemps. [...] "Maître, je me suis débarrassée de ma timidité...Vous êtes le premier à m'avoir enrichie de votre engrais..." Son regard éblouissant le fixait, telle une épée. Un chant de triomphe résonnait à ses oreilles.
Elle lui montre le tatouage une dernière fois "A ce moment précis, le premier rayon du soleil vint illuminer l'araignée; tout son dos resplendissait."
"Tatouage" drame de Yasuzo Masumura (1966)
Dans le film il ne reste rien de la séductrice que pressent Seïkichi. L'héroïne est une belle jeune fille avec un fort caractère, mais sa seule ambition est de se marier avec le commis qu'elle a séduit.Elle apparaît plutôt comme une allumeuse. Elle l'oblige à s'enfuir avec elle. Ils trouvent refuge auprès d'un ami de son père. Mais l'ami est un escroc: il soutire de l'argent aux parents, il essaie de faire tuer le jeune homme et vend la jeune fille qui devient prostituée. Le tatoueur lui dessine une araignée mais sur l'ordre de son patron. La scène du tatouage est importante mais l'érotisme du roman a disparu. On comprend qu'elle l'obsède car il la surveille et c'est lui qui la tuera.
Les amants se retrouvent et dès lors le jeune femme va, à nouveau, diriger son pleutre ami et l'utiliser pour se venger de tous ceux qui leur ont fait du mal. Il lui reproche d'être insensible mais elle répond que la responsable est l'araignée.
Il a déjà tué son agresseur. Elle le fera tuer celui qui l'a vendue puis son proxénète. Mais il a des remords et il est jaloux des clients de son amie. Il veut tour à tour se livrer à la police, se suicider, s'enfuir avec elle. Lors d'une dispute, il essaie de la tuer mais elle se défend et c'est lui qui meurt.